Andres, notre projet de société

Il y a quelques jours, Andres (nom fictif) m’a annoncé qu’il ne pourra pas rester au Québec pour y avoir sa résidence permanente, à la suite d’un changement d’admissibilité à son Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Andres est le colocataire de ma meilleure amie depuis le 1er septembre 2022. Il a emménagé au Québec à l’été 2022.
Originaire d’Amérique latine et francotrope, il a choisi de s’établir au Québec pour avoir de meilleures conditions de vie. Il a commencé sur une base régulière et assidue à apprendre le français en 2017. Il a dû faire le dur choix de quitter sa famille dans l’espoir de se dessiner un meilleur avenir ici, au Québec. Du lundi au vendredi, il étudie à temps plein à la maîtrise en génie (où il a obtenu la meilleure note de sa classe). Il travaille aussi à temps partiel et, les samedis, il suit des cours de francisation.
En arrivant au Québec, Andres a fait le choix conscient d’habiter avec une famille francophone et une colocataire pour bien s’inclure dans la culture québécoise et se familiariser avec les différents accents qui entrent et qui sortent dans leur grande maison. Il tente toujours de trouver les bons mots en français pour s’y faire comprendre.
Il pose des questions à propos de notre histoire nationale, accepte de découvrir de la musique québécoise, il a même osé embarquer dans nos rigodons ! Il s’est fait une copine polyglotte qui l’encourage toujours à lui parler en français. Il rit à nos jeux de mots plates, sort le samedi soir pour rencontrer des gens qui parlent français, discute tard le soir pour jaser de l’actualité, joue à des jeux de société avec toute la famille en français. Il a même mis ses patins et pris nos crazy carpets pour affronter le froid.
Il me semble que survivre à l’hiver, cultiver une curiosité envers la langue française et aller à la rencontre des Québécois sont déjà de bons signes d’intégration… En l’accompagnant dans son apprentissage, j’ai pour ma part appris à être plus fière de ma langue et de ma culture. Je ne suis pas lui, mais je suis épuisée pour lui, si studieux, si travaillant et si social, qui se fait dire, un an avant l’aboutissement de sa gestation, que son combat ne se terminera pas comme il le pensait.
Dans ma tête, c’est comme s’il était dans une relation avec le Québec, qui lui aurait promis de cocréer un enfant avec lui, mais qui, à la date d’arrivée, lui disait : « Ah ouin, tu sais, je veux un enfant avec toi… Mais, finalement, j’ai changé d’avis. Tu dois encore faire autre chose pour me prouver que tu es un bon père… »
Ça fait plus de deux ans que tu travailles dur chaque matin pour que l’on t’accepte pour finalement ne récolter aucun résultat positif. D’accord, peut-être en effet que l’on essaie de se définir comme peuple et que la loi pourrait potentiellement nous aider à garder notre langue, mais pourquoi pénaliser quelqu’un comme Andres qui a fait autant d’efforts ?
Obligé de changer de province ou de pays dans quelques mois, Andres ne va peut-être pas avoir la motivation de continuer à cultiver le français, qu’il commençait à s’approprier ; la nouvelle langue de son nouvel amour, de ses nouvelles amitiés, de ses prochaines joies et peines.
Collectivement, ne s’éloigne-t-on pas de notre objectif de sauver notre langue ? Le nouveau programme de l’expérience québécoise aurait pu prévoir un bémol qui lui aurait permis de poursuivre son engagement envers les immigrants temporaires plutôt que de les forcer à partir indirectement.
Oui, après sa maîtrise, Andres pourra toujours aller étudier en français s’il veut vraiment rester au Québec, mais ça lui coûtera 15 000 $ de frais de scolarité par année. Et cela ne l’empêchera pas de vivre dans l’insécurité que les critères d’admissibilité puissent changer encore une fois dans deux ou trois ans (car les critères, oui, ont déjà changé deux fois en trois ans) et ainsi courir le malheur de voir son permis permanent lui être refusé.
Mon Québec, c’est le partage, l’écoute bienveillante, l’écologie, la créativité, le français et l’honnêteté. Mon Québec sait aussi se responsabiliser face à ses engagements. Pour moi, le Québec, c’est ça, car je l’incarne. Tout comme Andres l’a incarné dans les derniers mois. Je connais des gens qui sont nés au Canada vivant au Québec depuis plusieurs années, mais qui ne tentent même pas de me dire « bonjour » en français…
À eux, je me dois de parler anglais pour me faire comprendre et ils sont Québécois. Andres passe par-dessus sa frustration de ne pas toujours se faire comprendre en continuant à s’exprimer en français. Il aurait pu choisir de ne s’entourer que d’anglophones en arrivant à Montréal, mais non. Car Andres a choisi d’être Québécois. Nous mesurons la réussite d’un projet à l’effort et à l’engagement qui y sont mis.
Selon les entrevues que j’ai écoutées, le père de l’artiste multidisciplinaire québécois Adib Alkhalidey n’a jamais été capable de parler ni de comprendre le français. À mon sens, il n’en reste pas moins un Québécois, car il a mis l’effort et l’engagement nécessaires pour que ses enfants apprennent le français et s’intègrent au Québec. Adib est pour moi l’exemple d’une permaculture culturelle. Si nous avions fermé les portes à ses parents, nous n’aurions pas pu compter sur ce joyau québécois.
Il en est ainsi pour Andres et des milliers d’autres espoirs avortés. Je ne dis pas d’accepter tout le monde, je dis seulement de revoir notre stratégie et d’au moins se tenir debout pour défendre nos engagements passés. Encore quelques années et Andres aurait pu rayonner en disant : « Je suis Québécois, tabarnak de tabarnacos », mais notre projet de société dans notre grande maisonnée ne verra, malheureusement, pas le jour.
Signée avec amour, Mounia Guessous et la famille Ramdam : « Mi casa es tu casa »
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