Il est temps que l’industrie du tabac rende des comptes

Les produits du tabac demeurent la principale cause évitable de maladie et de décès dans toutes les provinces du Canada, rapportent les auteurs.
iStock Les produits du tabac demeurent la principale cause évitable de maladie et de décès dans toutes les provinces du Canada, rapportent les auteurs.

Au cours des dernières décennies, les fabricants de tabac ont puisé tout au fond de leur trousse d’outils de marketing pour manipuler et tromper le public à propos de leurs produits. Ils ont influencé les perceptions grâce à des porte-parole célèbres, à de la publicité destinée aux jeunes et à des campagnes de relations publiques niant ouvertement les effets néfastes de leurs produits sur la santé, à des travaux de recherche tendancieux et à des mots-clés trompeurs tels que « légères » et « douces ». À l’aide de moyens financiers pharaoniques, ils ont construit une fausse réalité, camouflant les preuves légitimes qui confirmaient les effets catastrophiques du tabagisme pour la santé. Ils ont créé une société de gens accros à leurs produits et leur ont ouvert un chemin menant tout droit à la maladie et à la mort. Et ils l’ont fait dans le monde entier.

En lisant ces lignes, vous croyez peut-être que nous exagérons. Absolument pas. En fait, toutes les provinces canadiennes ont reconnu ces actes répréhensibles et ont déposé des poursuites contre les trois grands fabricants de tabac au pays, soit Imperial Tobacco Canada ltée, Rothmans, Benson Hedges inc. et JTI-MacDonald Corporation et leurs sociétés mères internationales. Les poursuites et l’action collective intentée au Québec ont amené ces entreprises à se placer sous la protection de la faillite, en raison de réclamations dépassant les 500 milliards de dollars. Vous avez bien lu : 500 milliards.

La seule façon pour ces entreprises de mettre fin à cette protection contre la faillite est de conclure un règlement dont conviendront les provinces. À l’heure actuelle, les provinces mènent ces négociations historiques avec les trois fabricants de tabac, et les pourparlers durent depuis quatre ans. Que se passe-t-il à la table de négociations ? Nous n’en savons rien, puisque ces discussions se tiennent derrière des portes closes. Nos organismes de santé, par exemple, en sont exclus.

Les négociations en vue d’un règlement sont une occasion unique de tenir les fabricants de tabac pour responsables. L’heure de vérité a sonné pour ces entreprises ; ne laissons pas filer cette chance.

Les provinces ont une bonne marge de manoeuvre et peuvent insister pour que des mesures strictes soient adoptées afin de modifier pour toujours les comportements de l’industrie. La Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du coeur et de l’AVC et l’Association pulmonaire du Canada exhortent les premiers ministres et les négociateurs des gouvernements provinciaux à faire en sorte que rien ne soit plus comme avant pour les grands fabricants de tabac. Nous croyons que le règlement à venir doit inclure une compensation financière substantielle et à long terme pour la lutte contre le tabagisme, en plus de mesures politiques pour encadrer l’industrie et réduire la consommation de tabac. Les agissements répréhensibles de l’industrie doivent cesser.

Nous exigeons plus particulièrement qu’au moins 10 % des sommes obtenues dans le cadre du règlement soient attribuées à une entité indépendante pour mener des initiatives visant la réduction du tabagisme. Si les cibles de réduction du tabagisme au Canada ne sont pas atteintes, les fabricants de tabac devront verser d’importantes sommes supplémentaires. Nous demandons aussi expressément d’autres mesures, dont l’interdiction de toute promotion des produits du tabac et la divulgation des millions de pages de documents internes secrets des fabricants de tabac.

Nous ne sommes pas le premier pays à prendre des mesures pour que l’industrie du tabac soit tenue pour responsable de ses actions. Des règlements ont été conclus aux États-Unis en 1997-1998, avec de nouvelles mesures appliquées à l’industrie dans ce pays. C’est très simple : si les États américains peuvent inclure dans leurs règlements des mesures visant à réduire le tabagisme, les provinces canadiennes peuvent, et doivent, faire mieux en 2023.

Nos organismes ne sont pas les seuls à avoir une opinion tranchée sur la question. En fait, selon un sondage Ipsos mené en mars 2023, 85 % des Québécois sont favorables à ce qu’une part importante des fonds issus d’un règlement soit utilisée pour des initiatives visant à réduire le tabagisme chez les adultes et les jeunes.

Les produits du tabac demeurent la principale cause évitable de maladie et de décès dans toutes les provinces du Canada, tuant 13 000 Québécois chaque année, ce qui a des répercussions sur les familles, les communautés et nos systèmes de santé.

Nous exhortons les premiers ministres à faire preuve d’initiative afin d’arrêter les grands fabricants de tabac, de contrer leurs agissements et de veiller à ce que des mesures complètes soient incluses dans le règlement de ces poursuites, au nom des générations futures.

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