Droits de la personne et transition écologique doivent aller de pair

Nous ne sommes pas égaux face à la crise écologique et ne subissons pas au même degré les violations de droits de la personne qu’elle engendre. La démocratie devra jouer un rôle de premier plan dans la nécessaire transition écologique qui est sur toutes les lèvres actuellement. Puisque ce sont les classes populaires et les groupes marginalisés qui ont le plus à perdre, ces groupes doivent participer aux grandes décisions qui structureront la réorganisation de notre économie à la lumière des grands défis écologiques que traverse notre époque. Pour atténuer les effets de la catastrophe climatique et assurer le respect des droits de la personne, il est impératif de démocratiser notre système économique.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Droits et libertés, printemps-été 2023, volume 42, no 1.
Pour la Ligue des droits et libertés, maintenant forte de 60 ans de luttes, les droits de la personne doivent être au coeur des réflexions sur la transition. Tant les impacts de la crise écologique que les mesures d’adaptation et d’atténuation envisagées doivent être examinés à la lumière des droits de la personne. Ce cadre d’analyse désindividualise et acquiert une portée plus collective, qui se conforme à l’exigence de l’interdiction des discriminations, devenues systémiques, à l’heure de la transition écologique. Le droit à un environnement sain participe aussi à nous rappeler l’urgence de la démocratie, en soulignant que certains droits sont des conditions sine qua non à la pleine réalisation de ce droit : l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice.
Cette exigence de démocratie est d’autant plus nécessaire que ces crises menacent un ensemble de droits, du droit à la vie, à la sécurité, à la santé, en passant par le droit au logement ou au travail : on parle ici de l’interdépendance des droits de la personne. À son tour, la préservation des écosystèmes est mise en péril par les violations du droit de manifester ou du droit à l’information ! L’universalité des droits de la personne invite aussi à tenir compte des impacts exacerbés de la crise écologique sur certaines populations marginalisées, les personnes en situation de handicap, les personnes racisées, les peuples autochtones et populations appauvries du Sud global, victimes du colonialisme et de l’extractivisme, etc.
Que supposent les droits de la personne quant au système économique en place ? Puisque les principales décisions y sont prises par et pour les intérêts d’une élite restreinte, un système hiérarchique comme le capitalisme est intrinsèquement enclin à défendre les intérêts des élites à qui il bénéficie. Il n’est pas conçu pour respecter et assurer la mise en oeuvre des droits de la personne ni n’a cela pour objectif ! Et lorsque les populations et les groupes marginalisés sont néanmoins entendus et pris en compte, c’est au prix de longues luttes très exigeantes.
Comme le capitalisme est un système basé sur la propriété privée, les entreprises sont en compétition entre elles. La propriété privée des moyens de production entraîne une concurrence entre les entreprises, qui cherchent à maximiser leurs profits et à croître pour mieux défendre leurs intérêts. On se doit de mettre en place un système dans lequel les entreprises ne seraient pas poussées à maximiser leurs profits, et de rapidement remplacer les dynamiques de concurrence et de croissance par des dynamiques de collaboration que permet un régime de propriété collective.
En plus d’être inéquitablement répartie, la croissance économique a une dimension irréductiblement matérielle : davantage de voitures, de gratte-ciel, d’appareils électroniques, etc. Comme les ressources sont intrinsèquement limitées, toute forme de croissance dite verte est forcément une équation insoluble. Ne nous laissons pas berner : la transition ne peut pas se réduire à une transition technique au sein d’un système capitaliste, visant à basculer des énergies fossiles vers des sources d’énergie dites renouvelables. La transition ne peut consister en un simple changement d’huile. Une réorganisation en profondeur de nos sociétés s’impose afin de satisfaire les besoins et respecter les droits de toutes et tous dans le respect des limites planétaires.
C’est là un puissant argument en faveur d’une démocratisation de l’économie, qui doit aller de pair avec la transition écologique. Combattre la crise écologique et l’immobilisme des élites implique de lutter pour davantage de réelle participation démocratique, y compris en matière économique. Plusieurs pensent ainsi que la planification démocratique de l’économie est la meilleure façon d’alléger la pression de l’activité humaine sur les écosystèmes. Une transition non démocratique risque de se traduire par un maintien des rapports de pouvoir préexistants et conséquemment au maintien de bilans catastrophiques en matière de droits de la personne et d’écologie.
Dans les années à venir, les mouvements sociaux devront demeurer à l’affût pour préserver les espaces de participation démocratique qui existent et lutter pour les élargir. L’urgence climatique ne doit surtout pas servir de prétexte à des reculs démocratiques ou la suspension de certains droits et libertés, alors que la démocratie est plus nécessaire que jamais pour défendre les droits de la personne.
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