L’INEE, un institut de la naïveté par excellence en éducation

L’accès à de l’information de qualité ne donne pas lieu magiquement à un changement de pratique, précisent les auteurs.
Photo: iStock L’accès à de l’information de qualité ne donne pas lieu magiquement à un changement de pratique, précisent les auteurs.

Une kyrielle d’objections ont déjà été formulées contre la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEE) qui découlerait de l’adoption du projet de loi présenté récemment par le ministre Bernard Drainville. Rappelons-en quelques-unes : présomption de pertinence du moyen ; imprécision de la situation à régler ; approche autoritaire du changement ; dédoublement de structures ; soif de pouvoir du gouvernement ; imprécision du concept d’excellence promu ; entrave à la liberté pédagogique et scientifique ; perte de lieux de concertation ; promotion d’une vision en tunnel de la recherche ; conflits d’intérêts apparents des porte-étendards de l’initiative ; déprofessionnalisation des enseignants… Nous en ajoutons une de plus à la liste tout aussi longue qu’incomplète : la naïveté de l’idée.

Le coeur de la mission de l’INEE consisterait en ceci : identifier les meilleures pratiques et les méthodes pédagogiques révélées efficaces par la recherche scientifique et les diffuser aux intervenants du système d’éducation.

Noble objectif. Qui est toutefois plus compliqué qu’il en a l’air.

La poignée de personnes qui fredonnent le sirventès de l’INEE à l’oreille du ministre de l’Éducation considèrent qu’il y a une façon bien précise de parvenir à des pratiques « efficaces ». Pourtant, quiconque possède une formation de base en recherche réfute cela aisément. Il existe plutôt une variété d’approches de recherche, qui sont complémentaires et toutes nécessaires, et qui génèrent une pluralité de résultats utiles et de qualité.

D’ailleurs, plusieurs de ces résultats sont déjà accessibles. Par exemple par l’entremise du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ) ainsi que des revues et colloques d’associations professionnelles. Pourquoi donc engloutir des millions de dollars dans une nouvelle structure ? Les troubadours d’une vision unique de la science regarderaient-ils le monde du haut de leur piédestal pour professer ce qu’ils ont choisi être valable ?

Il y a plus…

Entre lire que la cigarette est néfaste pour la santé et arrêter de fumer, il y a quelques pas à franchir. En d’autres mots, l’accès à de l’information de qualité ne donne pas lieu magiquement à un changement de pratique. Pourtant, c’est sur une telle prémisse naïve qu’on appuie une partie importante du fonctionnement de l’INEE.

L’accès à de l’information et à des savoirs pertinents n’est qu’une condition favorable au changement. Donald Ely, un professeur qui a étudié la question pendant des décennies, en a identifié plusieurs autres. Hélas, ces conditions sont pratiquement absentes du projet de loi du ministre Drainville.

Voyons en quoi.

 

L’insatisfaction par rapport à la situation actuelle. Il importe de ressentir un besoin pour s’engager pleinement dans une démarche de changement. Ce besoin peut varier d’un centre de services scolaire, d’une école, d’une équipe-cycle, voire d’un individu à l’autre. Malheureusement, l’orientation prescriptive de l’INEE, confirmée par les récents propos autoritaires tenus par le ministre Drainville, est à contre-courant de cette première condition favorable au changement.

La disponibilité de ressources et de temps. Les démarches de changement requièrent des ressources, sans quoi elles font du surplace. A-t-on besoin d’épiloguer sur la rareté de celles actuellement disponibles pour soutenir les personnels scolaires qui désirent mettre sur pied de nouvelles façons de faire ? Poser la question, c’est malheureusement y répondre.

Des incitatifs. À l’exception de la stratégie du bâton et de la carotte promue dans le volet du projet de loi portant sur l’intensification d’une gestion axée sur des indicateurs simplistes, rien de positif ne semble avoir été prévu pour opérationnaliser cette condition cruciale au changement. Une dépossession de l’agentivité des personnels scolaires et donc une démobilisation accrue est à prévoir.

La participation. Un changement a tendance à s’implanter lorsque les personnes concernées ont l’occasion de s’exprimer et de s’impliquer dans la démarche. À cet égard, le ministre pourra dicter aux personnels scolaires les résultats de recherche à s’approprier. Voilà l’antithèse de la reconnaissance du professionnalisme.

En ce qui concerne la réflexion sur la pertinence de l’INEE, le seul lieu de participation sera la commission parlementaire du mois de juin. Une commission qui aura des allures de vaudeville puisqu’elle sera nettement surfréquentée par des professeurs qui font la promotion d’un INEE depuis des années et d’idées colportant une vision réductrice des processus « efficaces » pour enseigner et faire apprendre.

L’engagement et le leadership. Ici, il est surtout question de l’attitude des dirigeants à l’égard des personnes impliquées dans une démarche de changement. Est-elle bienveillante ? Soutenante ? Inspirante ? À chacun sa réponse…

Le projet de loi 23, en particulier le volet sur l’INEE, est un exemple éloquent d’initiative qui, derrière un discours politique et scientifique aguichant et vertueux, témoigne d’une profonde naïveté à propos de la gestion du changement en éducation.

Si l’on juge qu’il manque d’information sur un sujet donné, qu’on fasse appel aux nombreuses infrastructures de recherche existantes dans les universités ou à l’Institut de la statistique du Québec. Qu’on renforce la capacité des lieux de diffusion actuels. Qu’on mette en place de réelles conditions pour que les personnels scolaires puissent s’inspirer de la diversité des résultats de recherches et entretenir des liens soutenus avec le milieu de la recherche.

Parachuter des connaissances est une chose. Soutenir des lieux de concertation et de mise en dialogue en continu entre les praticiens et les chercheurs en est une autre. Certes plus exigeante, mais plus réaliste et respectueuse de la complexité de l’action éducative.

Le projet de loi 23 est aux antipodes de la réalité éducative. Il n’est donc pas probant et, par conséquent, devrait être abandonné.

* Ont aussi signé cette lettre :

Patrick Giroux, Université du Québec à Chicoutimi
Thérèse Laferrière, Université Laval
Stéphane Martineau, Université du Québec à Trois-Rivières
Philippa Parks, Université de Sherbrooke
Françoise Armand, Université de Montréal
Charles-Antoine Bachand, Université du Québec en Outaouais
Audrey Raynault, Université Laval
Geneviève Therriault, Université du Québec à Rimouski
Adriana Morales-Perlaza, Université de Montréal
Geneviève Carpentier, Université de Montréal
Jean Bernatchez, Université du Québec à Rimouski
Marie-Pierre Baron, Université du Québec à Chicoutimi
Corina Borri-Anadon, Université du Québec à Trois-Rivières
Sivane Hirsch, Université du Québec à Trois-Rivières
Catherine Dumoulin, Université du Québec à Chicoutimi
Catherine Maynard, Université Laval
Francisco A. Loila, Université de Montréal
Pauline Sirois, Université Laval
Hélène Makdissi, Université Laval
Claire Beaumont, Université Laval
Marc-André Deniger, Université de Montréal
Simon Viviers, Université Laval
Rola Koubeissy, Université de Montréal
Philippe Tremblay, Université Laval
Géraldine Heilporn, Université Laval
Marie-Claude Larouche, Université du Québec à Trois-Rivières
Catherine Larouche, Université du Québec à Chicoutimi
Geneviève Fournier, Université Laval
Frédéric Deschenaux, Université du Québec à Rimouski
Jacques Désautels Université Laval
Abdoulaye Anne, Université Laval
Michelle Deschênes, Université du Québec à Rimouski
Ann-Louise Davidson, Université Concordia
Hassane Squalli, Université de Sherbrooke
Marc-André Éthier, Université de Montréal
Marie Larochelle, Université LavalJean Gabin Ntebutse, Université de Sherbrooke
Vincent Richard, Université Laval
Stéphanie Duval, Université Laval
Marie-France Maranda, Université Laval
Izabella Oliveira, Université Laval
Florian Meyer, Université de Sherbrooke
Manon Chamberland, Université Laval
Eddy Supeno, Université de Sherbrooke
Geneviève Brisson, Université de Sherbrooke
Marie-Claude Bernard, Université Laval
Yvon Pépin, Université Laval
Véronique Fortier, Université du Québec à Montréal
Enrique Correa Molina, Université de Sherbrooke
Chantal Leclerc, Université Laval
Mathieu Thibault, Université du Québec en Outaouais
Marie Luquette, Université de Montréal
Joséphine Mukamurera, Université de Sherbrooke
Geneviève Barabé, Université de Montréal
Laurie Bergeron, Université du Québec à Montréal
David Benoit, Université du Québec en Outaouais
Saïdou Segueda, Université de Sherbrooke
Claudia Gagnon, Université de Sherbrooke
Anick Baribeau, Université de Sherbrooke
Emilie Morin, Université du Québec à Rimouski
Andréanne Gagné, Université de Sherbrooke
Diane Gauthier, Université du Québec à Chicoutimi
Pascale Thériault, Université du Québec à Chicoutimi
Chantale Beaucher, Université de Sherbrooke
Nicole Monney, Université du Québec à Chicoutimi
Denis Savard, Université Laval

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