Comment jugerons-nous de l’excellence de l’école québécoise?

L’Institut national d’excellence en éducation (INEE) annoncé par le ministre Bernard Drainville serait chargé de promouvoir l’excellence des services éducatifs de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire et secondaire. Promouvoir l’excellence de l’école québécoise est louable. Il est important de définir les critères pour l’évaluer, d’en clarifier les manifestations attendues dans le contexte bien particulier de pénurie de personnes enseignantes. Il faut surtout être honnête sur les façons de juger de cette excellence.
L’excellence des services aborde-t-elle les conditions à mettre en place dans les milieux pour favoriser la concertation entre les partenaires et la réflexion commune sur les pratiques d’enseignement, et ce, en prenant en compte les spécificités des disciplines dont les travaux de recherche progressent eux-mêmes à mesure que notre société se transforme ?
L’ensemble de ce qui constitue l’école semble pris en un bloc, alors qu’il y a une différence majeure entre chercher des moyens de mieux gérer les ressources humaines et matérielles et s’ingérer dans les choix pédagogiques et didactiques du personnel enseignant.
Quelle sera vraiment la mission de l’INEE en ce qui concerne ces dimensions pédagogique et didactique ? Le projet de loi 23 mentionne que l’INEE sera responsable de dresser et de mettre à jour une synthèse des connaissances scientifiques disponibles sur la réussite éducative et le bien-être des élèves. Cela constitue un objectif ambitieux, car la réussite éducative englobe à la fois la réussite scolaire et le développement global de l’élève.
Il est essentiel de prendre en considération les connaissances scientifiques issues de diverses recherches sur la réussite au primaire, au secondaire et pour l’éducation des adultes, en tenant compte des différentes voies de formation. Les modèles organisationnels des services éducatifs peuvent être documentés, mais ils doivent être nourris par les résultats des recherches de nature quantitative, et aussi qualitative. Chaque perspective contribue à la réussite éducative.
Cependant, il y a un risque de privilégier certains types de recherches dont les résultats semblent s’appliquer à un public plus large et donnant l’impression d’un consensus au sein de la diversité des recherches en éducation. Lorsqu’il est mentionné que l’INEE établira les « meilleures pratiques », nous nous questionnons sur la portée de ce travail. Parle-t-on de pratiques d’enseignement ? Si oui, comment la spécificité de l’apprentissage et de l’enseignement de chaque discipline sera-t-elle prise en compte ?
Il est d’autant plus important de répondre à ces questions que les articles suivants du projet de loi semblent découler de la détermination de ces « meilleures pratiques ». Sous la lorgnette de la didactique des mathématiques, les choix des formules pédagogiques et des outils (numérique, matériel de manipulation, etc.) qui médiatisent les activités de la classe devraient dépendre des visées de l’apprentissage.
Dans le projet de loi 23, il est question de mise en forme de recommandations, d’accompagnement à la mise en oeuvre de ces recommandations, de la formation du personnel, de la définition des compétences professionnelles des enseignants et de la reconnaissance du contenu de la formation continue. Ces dimensions contribuent grandement à la définition même de l’école, d’où les impacts majeurs des prises de position de l’INEE sur les élèves, les enseignants, les formateurs d’enseignants, etc.
Nous sommes inquiets, non pas pour la didactique des mathématiques comme domaine de recherche, puisque la pertinence et la richesse de nos travaux sont reconnues internationalement, mais pour l’école québécoise, qui, à travers ce projet d’INEE, risque fortement de ne pas bénéficier de cette richesse.
Nous percevons des écueils de ce projet, qui pourrait devenir une manière d’uniformiser les pratiques en nuisant aux initiatives créatives et innovantes de notre communauté de chercheurs, de formateurs et d’enseignants de mathématiques. Considérant le fort impact qu’aurait l’INEE sur l’éducation au Québec, nous demandons qu’un travail de fond soit d’abord réalisé afin de revoir en profondeur son mandat en commençant, de façon urgente, par définir les visées d’« excellence » et ses modalités de fonctionnement.
* Ont aussi signé ce texte :
Geneviève Barabé, professeure, Université de Montréal
Mathieu Thibault, professeur, UQO
Laurie Bergeron, professeure, UQAM
Marie Luquette, chargée de cours, Université de Montréal
Fabienne Venant, professeure, UQAM
Sabrina Héroux, chargée de cours, UQTR et Université de Montréal
Izabella Oliveira, professeure, Université Laval
David Benoit, professeur, UQO
Hassane Squalli, professeur, Université de Sherbrooke
Jean-François Maheux, professeur, UQAM
Laurent Theis, professeur, Université de Sherbrooke
Jean-François Gagné, professeur invité, UQAM
Annie Savard, professeure, Université McGill
Lacina Dofini, étudiant à la maîtrise, UQAC
Mireille Saboya, professeure, UQAM
Souleymane Barry, UQAC
Frédéric Prud’homme, conseiller pédagogique au secondaire, CSS Marguerite-Bourgeoys
Caroline Lajoie, professeure, UQAM
Virginie Robert, professeure, Université Laval
Marianne Homier, doctorante, Université de Sherbrooke
Marie-Frédérick St-Cyr, doctorante, UQAM
Analia Bergé, professeure, UQAR
Patricia Marchand, Université de Sherbrooke
Anik Ste-Marie, professeure, UQAM
Martin Roy, conseiller pédagogique, CSS des Samares
Marilyn Dupuis Brouillette, professeure, UQAR
Caroline Damboise, professeure, UQAR
Fernando Hitt, professeur, UQAM
Patricia Falappa, chargée de cours, Université de Sherbrooke
Elena Polotskaia, professeur, UQO
Jeanne Koudogbo, professeure, Université de Sherbrooke
Marie-Pier Morin, professeure, Université de Sherbrooke
Stéfanie Neyron, conseillère pédagogique au secondaire, CSS Marguerite-Bourgeoys
Anne Roy, professeure, UQTR
Sandrine Michot, étudiante au doctorat, UQAM
Helena Boublil, professeure, Université Laval
Nathalie Anwandter Cuellar, professeure, UQO
Eva Knoll, professeure, UQAM
Jeanne Bilodeau, professeure, UQTR
Virginie Houle, professeure, UQAM
Caroline Bisson, chargée de cours, Université de Sherbrooke
Miranda Rioux, professeure, UQAR
Cynthia Potvin, étudiante à la maîtrise, UQAR
Josianne Trudel, chargée de cours, UQAR
Sophie René de Cotret, professeure honoraire, Université de Montréal
Vincent Martin, professeur, Université de Sherbrooke
Virginie Filion, finissante à la maîtrise, UQAR
Thomas Rajotte, professeur, UQAR, campus de Lévis
Philippe R. Richard, professeur, Université de Montréal
Jessica Tremblay-Pelletier, enseignante et étudiante à la maîtrise, UQAR