S’éloigner de la Chine pour s’arrimer aux États-Unis?

Après l’expulsion réciproque de diplomates par le Canada et la Chine, la crise entre les deux pays est-elle passée ? Certainement pas, mais Pékin et Ottawa ont sans doute compris qu’il n’était pas nécessaire de s’engager dans une escalade, au risque d’envenimer encore plus leurs relations.
Les rapports entre la Chine et les pays occidentaux vont structurer les relations internationales pour les prochaines décennies. Ils seront caractérisés par la méfiance sur certaines questions tout autant que par la coopération sur d’autres. Le point d’équilibre reste à trouver.
C’est ce à quoi s’occupent présentement Américains et Européens, qui, tout en partageant certains constats sur le comportement de la Chine, divergent quant à l’approche à adopter pour redéfinir leurs relations avec la deuxième puissance du monde.
Les Américains soufflent le chaud et le froid. Ils tissent un réseau de relations et d’alliances en Asie-Pacifique dont l’objectif est de contenir militairement la Chine, tout en poursuivant leurs juteuses relations économiques avec Pékin. Jamais le commerce entre les deux n’a été aussi prospère. Les Européens, pour leur part, manient la carotte et font tout pour éviter d’être entraînés dans une confrontation entre Pékin et Washington.
Le Canada dans le grand jeu
Où se situe donc le Canada dans ce grand jeu ? Difficile à dire. La stratégie indo-pacifique publiée l’an dernier ouvrait la porte à une reprise des relations avec la Chine, mais depuis, le gouvernement est empêtré dans le scandale de l’ingérence chinoise au pays. Les leaders des partis d’opposition, incapables de réfléchir sérieusement aux enjeux de l’émergence de la Chine et de son impact sur notre pays, ne trouvent rien de mieux à faire que de jeter de l’huile sur le feu et de transformer cette affaire en véritable chasse aux sorcières.
À titre d’exemple, je participais dernièrement à un webinaire avec des universitaires canadiens spécialistes de l’Asie, et tous admettaient que le climat d’hystérie antichinoise instauré par les partis d’opposition et les médias anglophones paralyse toute coopération avec leur vis-à-vis chinois. Sur le plan diplomatique, alors qu’Américains et Européens maintiennent un vigoureux dialogue au plus haut niveau avec la Chine, les dirigeants canadiens et chinois n’arrivent pas à se parler. Il faut sortir de cette situation.
L’Australie est ici un modèle auquel nous devrions nous référer. Au cours des 10 dernières années, les relations entre Pékin et Canberra se sont fortement dégradées et l’économie australienne a souffert des sanctions imposées par la Chine, qui est son premier partenaire commercial. Pour autant, le dialogue a été maintenu et a débouché l’an dernier sur une première rencontre entre le nouveau premier ministre australien et le président Xi.
L’Australie n’a rien cédé sur le fond — elle a même signé un accord militaire avec les États-Unis et le Royaume-Uni —, mais a fait le pari d’une relance de ses relations avec la Chine. Elle vient aussi de nommer comme ambassadeur à Washington un homme d’État exceptionnel en la personne de l’ancien premier ministre Kevin Rudd. Maîtrisant parfaitement le mandarin et bien introduit auprès des élites chinoises et américaines, il est aussi l’auteur d’un excellent livre (The Avoidable War) sur les façons d’éviter une guerre entre les États-Unis et la Chine.
Resserrer les liens avec les États-Unis ?
Malheureusement, il n’y a pas au Canada de personnalité politique de l’envergure d’un Kevin Rudd. En attendant, le dernier accrochage sino-canadien a déclenché chez certains le réflexe tant attendu lorsque les idées manquent : resserrer nos liens avec les États-Unis afin de se dégager d’une trop grande dépendance envers le marché chinois.
Le Globe and Mail rapportait récemment les propos de plusieurs experts allant dans ce sens. Ainsi, un ancien diplomate pensait que le Canada gagnerait à « harmoniser sa politique étrangère et commerciale avec celle de la Maison-Blanche ». Pour sa part, un expert américain bien en cour à Ottawa estimait « que la nécessité d’une interdépendance nord-américaine devient chaque jour plus évidente ». Un autre suggérait que le Canada « collabore avec les États-Unis pour définir une politique commune à l’égard de la Chine ».
À première vue, ces propositions ont toutes les apparences du bon sens. Quoi de mieux que de travailler avec des amis, des partenaires, avec qui nous avons beaucoup en commun ? En même temps, elles portent en elles les ferments d’une autre dépendance dont nous avons mesuré les effets réels et possibles lorsque Donald Trump était président.Le Canada est déjà pieds et poings liés aux États-Unis, tant sur les plans économique et commercial que militaire. Sa marge de manoeuvre se rétrécit au fur et à mesure qu’il approfondit sa relation avec son puissant voisin et subit les contrecoups de ses mesures protectionnistes dans le cadre de sa politique « l’Amérique d’abord ».
Au fond, que nous disent ces experts ? Que l’indépendance du Canada, du moins ce qu’il en reste, n’a aucune importance. Que notre politique étrangère doit être écrite avec les États-Unis, comme si le poids de sa main n’allait pas diriger le crayon. Que la sécurité est préférable à la liberté — la liberté de penser différemment de nos voisins du Sud et de faire des choix, qui sont toujours des risques, mais des risques calculés.
La question de nos relations avec la Chine ne peut se penser à partir d’absolus comme rompre les liens, ériger des murs ou se réfugier dans les bras des Américains. À travers la stratégie indo-pacifique, le gouvernement Trudeau et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, en particulier, l’ont compris. Il faut aller plus loin.
Nos élites politiques et économiques auraient tout intérêt à formuler une politique étrangère et commerciale tournée vers le monde. Un effort collectif devrait être consenti pour arrimer le Canada à tous les continents, à toutes les puissances émergentes, afin d’assurer notre prospérité et notre capacité à agir sur la scène internationale.