Le système de santé est détraqué, Monsieur Dubé!

Le 8 novembre dernier, mon conjoint de 85 ans était opéré pour l’ablation d’une grosse tumeur cancéreuse au poumon gauche. Après l’opération, on le transfère aux soins intensifs, où je subis un premier choc. L’unité est au maximum de sa capacité, les patients sont de toute évidence très mal en point. Mais dans l’unité, c’est le party. Ça cacasse d’un bord à l’autre de l’unité, médecins, infirmières, préposés, on bavarde et on s’interpelle sans le moindre respect pour les patients. Je demande à une infirmière si c’est toujours aussi bruyant. Elle me gratifie d’un sourire penaud.
Toutes les chambres de l’étage sont fermées pour manque de personnel. Heureusement, mon conjoint, qui est en grande forme pour son âge, récupère assez rapidement pour qu’on le transfère le soir même dans une chambre à six lits. Qu’est-il arrivé à la consigne de silence et au respect des patients ?
En février, mon conjoint recommence à tousser. Je n’ai aucune expertise médicale, mais mon premier souci est une récidive de son cancer. Son médecin traitant diagnostique une pneumonie. Un premier traitement aux antibiotiques ne règle pas le problème. Je répète l’éventualité d’une récidive du cancer, mais on écarte mon avis de profane du revers de la main, une récidive est peu probable aussi rapidement après l’opération. Un deuxième traitement aux antibiotiques n’a aucun effet.
Le médecin l’envoie alors à l’hôpital pour des perfusions intraveineuses d’antibiotiques. Dès son arrivée, je réitère la possibilité d’un retour du cancer, mais les quatre médecins qui se succèdent pour analyser ses radios sont formels : les radios ne sont pas concluantes. Trois radios et deux scans plus tard, toujours pas de diagnostic officiel, et on continue les perfusions d’antibiotiques.
Je demande alors qu’est-ce qu’on apprend à l’école de médecine si médecins et radiologues sont incapables d’interpréter des radios et d’envisager une récidive d’un cancer récemment opéré. Pendant ce temps, mon conjoint de maintenant 86 ans, relevé avec panache et succès d’une grave opération, est parqué dans le couloir d’une urgence saturée et bruyante où il ne peut pas se reposer.
De plus, personne ne fait respecter le protocole de deux visiteurs par lit, et c’est la foire : les gens vont et viennent dans l’urgence, sans masques, sans précautions d’hygiène. Après trois jours, on décide de faire une biopsie, car les radios sont toujours « non concluantes ». Mais mon conjoint a attrapé la COVID !
On le parque alors en isolement dans une chambre où les services sont, je suis gentille, inadéquats. Je dois rester à ses côtés par manque de personnel, manque de soins, fatigue professionnelle et problèmes de communication, car mon conjoint est anglophone. Si j’attrape le virus à mon tour, personne ne s’occupera de lui, sauf pour les soins minimaux. Son état se détériore rapidement. C’est moi qui change ses draps et ses serviettes et qui veille à ses besoins.
Évidemment, j’attrape la COVID à mon tour. Interdiction de me présenter à l’hôpital. Sa fille arrive de Californie pour prendre le relais. Impossible de parler aux médecins, ils ne répondent pas aux messages que je leur laisse, et je n’ai pas de contact avec eux. Lorsque j’appelle le poste infirmier, on me répond que l’état de mon conjoint est stable. Mais je sais par sa fille que son état se détériore gravement et qu’il a de plus en plus de difficulté à respirer.
Pendant six jours, on lui a administré de l’oxygène par une canule dans le nez alors qu’il a une déviation du septum qui l’empêche de respirer par le nez. Il a fallu six jours et de nombreuses et insistantes requêtes pour lui obtenir un masque ! Entretemps, son besoin en oxygène s’élève rapidement. Et son état est mis à mal par les crises de panique que provoque cet étouffement progressif.
Je me rends à l’hôpital, où deux médecins m’annoncent assez brutalement qu’on soupçonne à 90 % une récidive de cancer aggravée par la COVID et que ses deux poumons sont nécrosés. D’après un des médecins, il n’en a plus que pour quelques jours. On est rendus aux soins palliatifs…
On le renvoie à la maison le lundi 9 mai, et il décède dans la nuit du 10 mai. L’homme qui est entré à l’hôpital le 21 avril était âgé de 86 ans, mais fort, vigoureux, pleinement conscient et fonctionnel. L’homme qui en est ressorti n’était plus que l’ombre de lui-même, toujours conscient, mais hâve, affaibli, anxieux et peinant après son souffle.
Monsieur le Ministre Dubé, on peut dire que l’hôpital a tué mon conjoint. Le cancer aurait peut-être eu raison de lui, mais j’aurais pu jouir de sa présence aimante un peu plus longtemps. Cette situation a été intolérable. Je ne jette la pierre à personne, c’est le système qui est détraqué. Ce système que tant de vos collègues ont tenté de réformer sans jamais obtenir de résultats !
C’est le manque de manières du corps médical envers les patients, c’est le manque chronique de personnel, c’est le manque de partage des dossiers, ce sont les difficultés de communication. C’est un système devenu inhumain. Votre ministère doit revoir de toute urgence ses plans de réforme pour éviter que de telles iniquités se produisent. En attendant, j’ai perdu l’être qui m’était le plus cher au monde, et dans des conditions indignes de sa grande âme.