Où est le problème avec les pénuries de main-d’oeuvre?

«Plutôt que de miser sur la précarité, les industries québécoises qui se disent en situation de pénurie doivent agir pour améliorer les conditions de travail qu’elles offrent», estiment les auteurs.
Photo: Enes Evren Getty Images «Plutôt que de miser sur la précarité, les industries québécoises qui se disent en situation de pénurie doivent agir pour améliorer les conditions de travail qu’elles offrent», estiment les auteurs.

Dans les derniers mois, plusieurs employeurs ont embauché de jeunes adolescents, voire des enfants, afin de pourvoir des postes au sein de leur entreprise. L’augmentation des lésions professionnelles chez les jeunes rapportées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) confirme au-delà des nombreuses anecdotes relayées par les médias cette tendance à la hausse du travail des jeunes au Québec.

L’augmentation spectaculaire du recours à la main-d’oeuvre étrangère temporaire dans les cinq dernières années, notamment dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, s’accompagne aussi d’une multiplication des accidents de travail enregistrés à la CNESST.

Découragées par les difficultés qu’elles rencontrent à embaucher du personnel, les entreprises du Québec n’auraient-elles d’autre choix que d’avoir recours à des groupes vulnérables comme les enfants ou les personnes migrantes ? Un regard plus profond sur les dynamiques qui traversent le marché du travail mène à des conclusions différentes.

Depuis 2015, soit depuis que Statistique Canada recueille des données avec son enquête sur les postes vacants et les salaires, on observe une hausse du taux de postes vacants au Québec — comme au Canada d’ailleurs —, et ce, dans plusieurs secteurs de l’économie. La tendance est à la baisse depuis le deuxième trimestre de 2022, mais il faudra attendre quelques mois avant de savoir si cette trajectoire descendante, possiblement causée par la hausse des taux d’intérêt, se confirme.

Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation, à commencer par la faiblesse du taux de chômage, qui est en baisse presque continue depuis trente ans. Le bassin de personnes « non occupées » étant réduit, trouver des personnes pour pourvoir des postes devient d’autant plus difficile. Cela est ajouté au vieillissement de la population, entraînant une hausse des départs à la retraite depuis deux décennies. Paradoxalement, le taux d’emploi des personnes de plus de 65 ans est aussi en hausse, ce qui rend peu réaliste (en plus d’être peu souhaitable) d’avoir davantage recours aux travailleurs et aux travailleuses âgés pour combler les besoins des entreprises.

Or, c’est probablement la qualité des emplois qui est le facteur le plus déterminant dans la difficulté que rencontrent certaines entreprises à pourvoir des postes. Par exemple, le salaire horaire moyen offert pour les 25 professions affichant le plus grand nombre de postes vacants, qui représentent près de la moitié des 208 795 postes à pourvoir au 4e trimestre de 2022 au Québec, était de 22,44 $, près de 30 % plus bas que le salaire horaire moyen des personnes en emploi au cours de ce trimestre (soit 31,71 $).

Si une proportion appréciable des emplois disponibles offre des salaires au-dessus de la moyenne québécoise, les horaires atypiques, les heures supplémentaires obligatoires ou encore la charge mentale élevée qu’ils requièrent les rendent peu attrayants et entraînent des problèmes de rétention.

Changer de perspective sur le travail

 

Que faire pour remédier à la situation ? L’apport des nouveaux arrivants à la population active est indéniable, puisque les personnes que le Québec accueille sont plus jeunes en moyenne que les personnes nées ici. Toutefois, en misant sur l’immigration temporaire, le gouvernement normalise un modèle d’affaires passéiste reposant sur l’emploi (temporaire) de personnes vulnérables aux abus. Et ce, pour des raisons qui semblent à première vue idéologiques.

Plutôt que de miser sur la précarité, les industries québécoises qui se disent en situation de pénurie doivent agir pour améliorer les conditions de travail qu’elles offrent. Dans le secteur de la restauration, de l’hébergement ou du commerce de détail, la faiblesse de la rémunération comme le manque de respect envers les employés expliquent entre autres les difficultés de recrutement des entreprises.

Quant aux emplois qualifiés des secteurs de la santé, des services sociaux ou de l’éducation, des années d’austérité budgétaire et de réformes structurelles ont contribué à déshumaniser le travail des professionnels, contraignant des milliers de salariés à l’exode. Mises en place par le gouvernement Legault, les mesures comprises dans le cadre de l’Opération main-d’oeuvre pour encourager la formation dans ces secteurs stratégiques pourraient s’avérer peu efficaces si le personnel formé ne reste pas en emploi en raison d’un milieu de travail qui nuit à leur santé ou à leur bien-être.

À l’heure où sévit une importante crise environnementale, et alors que plusieurs services publics et programmes sociaux dont dépend la qualité de vie de la population québécoise sont fragilisés, la priorité est d’attirer des travailleurs et des travailleuses dans des secteurs essentiels pour la société, plutôt que dans des secteurs en manque de main-d’oeuvre. Cela suppose de revoir notre approche du développement économique, notamment en repensant les programmes de subventions aux entreprises. En effet, dans le contexte actuel, les millions de dollars versés chaque année sous forme de subventions ou de bas tarifs d’hydroélectricité servent en fin de compte à créer des postes vacants.

Cela suppose aussi de reconnaître que tous les emplois actuellement disponibles ne sont pas nécessairement utiles socialement ni viables sur le plan écologique, et donc, qu’ils n’ont pas nécessairement besoin d’être pourvus. Ce changement de lorgnette implique qu’on se place du point de vue des communautés que servent les entreprises, plutôt que de persister dans une logique défaillante.

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