La quadrature du cercle démographique

«La question de la natalité constitue un sujet passé sous silence, voire tabou», écrit l'autrice.
Photo: Ryan Remiorz Archives La Presse canadienne «La question de la natalité constitue un sujet passé sous silence, voire tabou», écrit l'autrice.

Le débat sur l’immigration s’enflamme. On retrouve les chantres inconditionnels de l’immigration d’un côté et les tenants de la théorie du grand remplacement et de ses variantes de l’autre. Si ces visions paraissent inconciliables, il n’en demeure pas moins qu’elles se répondent et s’édulcorent. En outre, les deux approches s’égarent également en traitant ce sujet en vase clos, sans le recadrer dans un contexte démographique plus large.

D’entrée de jeu, soulignons que les défenseurs de l’immigration ont le fâcheux réflexe d’attaquer leurs adversaires, de les réduire à des racistes sans scrupules. Ils s’octroient le haut du pavé moral, mais négligent sciemment de considérer les problèmes que nous créons à l’étranger en favorisant l’exode de populations actives.

Contrairement aux adeptes d’un plafonnement strict de l’immigration, ses partisans ont le mérite d’admettre les défis démographiques auxquels nos nations qui se dépeuplent font face. Ils visent juste lorsqu’ils affirment que l’Amérique a largement bénéficié de la contribution des nouveaux arrivants et continuera de le faire. Toutefois, ils se leurrent en assimilant l’immigration massive à une panacée.

Fidèles à l’approche nuancée du peuple qu’ils représentent, les élus québécois ont adopté une motion unanime qui reconnaît l’apport essentiel de l’immigration tout en s’opposant fermement à « l’initiative du siècle » poussée par McKinsey.

Comme l’évoquent les détracteurs du Canada des 100 millions, peu importe la robustesse culturelle de la société hôte, l’accueil d’autant de gens poserait des défis d’intégration. Qui plus est, une telle vague accentuerait incontestablement la pression exercée sur les services, les infrastructures et le logement, et ce, alors que nous peinons déjà à subvenir aux besoins. En ce sens, force est de constater que la croissance arbitraire n’équivaut en rien à la croissance naturelle, que nous devrions privilégier.

Cependant, la question de la natalité constitue un sujet passé sous silence, voire tabou. À preuve, l’annonce d’une baisse de 4200 naissances n’a curieusement fait sourciller personne. Il faut dire que le mythe de la surpopulation est solidement ancré. La crainte que la planète ne puisse pas supporter la croissance démographique est largement répandue chez les jeunes. Or, cette crainte apparaît aujourd’hui infondée et délétère puisque les données indiquent que nous basculons plutôt vers une implosion démographique. Celle-ci entraînera des bouleversements auxquels nous sommes mal préparés. Dans ce contexte, nous devons entamer une sérieuse réflexion sur la natalité, le travail et le vieillissement.

Le Québec peut se targuer d’avoir mis en place d’excellentes mesures de conciliation emploi-famille. Bien que perfectibles, le RQAP et le réseau de CPE améliorent grandement la vie des parents. Le premier pourrait d’ailleurs être prolongé pour les familles n’ayant pas accès au second. Cela dit, ce genre de politiques ne revêt pas d’impact notoire sur le taux de fécondité. Malgré tout, l’État sera toujours cantonné à ce rôle de soutien, car les femmes se montrent, à juste titre, allergiques à toute forme de diktat reproductif.

À cet effet, le documentaire Birth Gap bouscule les idées reçues. Les données indiquent que la chute draconienne de la fécondité dans les pays développés ne serait pas liée à la proportion de personnes qui choisissent de ne pas enfanter ou au nombre d’enfants par famille, qui sont tous deux demeurés stables. La chute serait plutôt attribuable au phénomène que le documentariste nomme l’infertilité involontaire. Plusieurs facteurs l’expliquent. Le premier concerne la tendance séculaire à repousser l’âge de la conception. Depuis des décennies, filles et garçons sont élevés avec les mêmes objectifs individuels : prioriser les études, qui ne cessent de s’allonger, et l’avancement professionnel. Ce faisant, nous nions certaines réalités biologiques auxquelles nos filles devraient être éveillées afin de prendre des décisions éclairées. Les perturbateurs endocriniens jouent également un rôle qui mériterait d’être élucidé et prévenu. Enfin, la hausse fulgurante de l’isolement et du célibat constitue un facteur déterminant, tristement négligé. La multiplication des activités sociales vouées aux jeunes pourrait contrer cette atomisation.

Nous l’avons constaté, l’inversion de la pyramide démographique accélère les pénuries. Le gouvernement réagit bien : l’encadrement du travail des enfants et la réforme de l’aide sociale doivent être salués. Immanquablement, Québec devra rendre le travail encore plus fiscalement attrayant. Les modifications à la RRQ représentent une bonne mesure pour inciter les retraités à revenir sur le marché de l’emploi. La flexibilité et l’efficience seront les mots d’ordre.

Enfin, nos sociétés vieillissantes devront adapter leurs milieux de vie et décupler l’offre de loisirs pour garder nos aînés heureux et en santé. Le soutien accru aux proches aidants, l’autorisation des logements bigénérationnels et l’hospitalisation à domicile constituent des chantiers essentiels, car les places institutionnelles viendront irrémédiablement à manquer.

La dépopulation mettra notre filet social à l’épreuve. Seule la revitalisation du tissu social pourra la contrebalancer.

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