Pourquoi détruire une instance historique qui fonctionne?

Lettre au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, sur le projet de loi 23
C’est avec stupéfaction que nous avons pris connaissance du projet de loi 23 modifiant notamment la Loi sur l’Instruction publique et la Loi sur le Conseil supérieur de l’éducation et édictant la Loi sur l’Institut national d’excellence en éducation. Ces modifications engendrent, et c’est ce qui nous importe ici, des changements majeurs à la Loi sur le Conseil supérieur de l’éducation. Elle abolit en effet la Commission de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire, la Commission de l’enseignement secondaire et la Commission de l’éducation des adultes et de la formation continue. Elle supprime la Table du Conseil, formée des présidents des commissions et des représentants de divers milieux scolaires et de la société civile, l’instance chargée d’adopter les avis et de faire des recommandations au ministre de l’Éducation.
Nous vous rappelons que le Conseil supérieur de l’éducation est issu de la recommandation 27 du rapport Parent, qui définit sa mission et la composition de ses instances. Depuis près de 60 ans (1964), c’est la continuité qui a marqué la vie de cet organisme dans l’accomplissement de sa mission de conseiller de l’État dans l’élaboration des politiques publiques en éducation. Il l’a fait en produisant des avis tantôt techniques sur des modifications à la Loi sur l’instruction publique et aux règlements pédagogiques, tantôt plus fondamentaux et portant sur les orientations et l’architecture d’ensemble de notre système d’éducation, ses relations entre les ordres d’enseignement, sa gouvernance actuelle et à venir.
Ses structures et son mode fonctionnement lui confèrent son caractère unique que bien des pays lui envient. Le législateur a voulu en faire un organisme de participation démocratique. En effet, c’est plus d’une centaine de personnes issues des divers ordres d’enseignement et de la société civile qui oeuvrent bénévolement dans les commissions et à la Table du Conseil à l’élaboration des avis et des rapports soumis au ministre de l’Éducation. Elles sont assistées d’une équipe aguerrie de chercheurs chevronnés. Le Conseil joue ainsi un rôle crucial de liaison organique favorisant l’interaction entre la recherche et les pratiques des acteurs dans l’élaboration des recommandations soumises au ministre et, conséquemment, entre le ministre et la société civile. Par ailleurs, la société bénéficie aussi du travail du Conseil, qui diffuse largement ses études et avis et participe aux débats publics.
Forts des responsabilités qui nous ont été confiées en tant que présidentes et présidents du Conseil à travers les quatre dernières décennies, nous croyons qu’il est de notre devoir d’intervenir sur le projet de loi 23. Ce projet, s’il est adopté en l’état, a pour conséquence de démanteler le Conseil et de le faire disparaître, ni plus ni moins.
Pourquoi détruire une instance historique qui fonctionne dans le respect de la mission qui lui a été confiée en 1964 et qui, depuis, s’est avérée efficace et respectée dans tous les milieux de l’éducation et par tous les ministres de l’Éducation qui vous ont précédé ? Vous objecterez que le projet de loi 23 transfère la fonction principale du Conseil à l’Institut national d’excellence en éducation (INEE), puisque celui-ci pourra « conseiller le ministre sur toute question relative à l’éducation et, à cette fin, lui faire rapport au moins tous les deux ans sur l’état et les besoins de l’éducation ». Soit. Mais le Conseil supérieur de l’éducation est plus que sa fonction. Il est une institution de participation démocratique à l’éducation, par son caractère représentatif de la population québécoise et ses pratiques de consultation. Et c’est cette richesse collective qu’il faut préserver. Quant à la création d’un Institut national d’excellence en éducation, il ne nous appartient pas d’en débattre. L’actuel Conseil supérieur le fera s’il le juge à propos. Il l’a fait d’ailleurs en 2017 dans un mémoire au ministre d’alors, M. Sébastien Proulx, où il proposait de modifier la Loi sur le Conseil supérieur de l’éducation afin de créer une commission permanente sur la recherche en éducation et de lui confier le mandat de mettre sur pied un centre d’excellence en éducation.
Enfin, nous vous le rappelons, le ministère de l’Éducation et le Conseil supérieur de l’éducation constituent les deux piliers de notre système éducatif. C’est ainsi que le législateur l’a conçu en 1964 en créant l’une et l’autre institution dans la même loi, le « bill 60 ». Nous ne voyons aucune raison de démanteler aujourd’hui ce qui a été construit avec sagesse il y a près de 60 ans. La lecture des articles 137 à 140 du rapport Parent devrait vous en convaincre.
Nous vous sommes reconnaissants, Monsieur le Ministre, de porter attention à nos interrogations et d’y apporter des réponses pouvant éclairer les milieux de l’éducation et la population québécoise en général.