Il faut améliorer les conditions d’exercice du personnel en éducation

Les problèmes du système d’éducation québécois sont nombreux, nous le savons. Mais quels sont ceux qui, actuellement, affectent dramatiquement notre capacité comme société à offrir à nos enfants et à nos concitoyens une éducation à la hauteur de nos aspirations collectives ? Pourquoi certains groupes d’élèves se retrouvent sans enseignante qualifiée ? Ou sans enseignante tout court ? Pourquoi certains groupes d’élèves voient les enseignantes se succéder tout au long de l’année scolaire ? Pourquoi les parents doivent-ils se tourner vers le privé pour obtenir des services d’aide pour leurs enfants ?
Les conditions d’exercice extrêmement difficiles — les recherches scientifiques le démontrent — font fuir plus du quart des enseignantes avant même qu’elles aient exercé le métier pendant cinq ans, voire plus tôt. Les congés de maladie se multiplient et les plus âgées partent avant l’âge de la retraite, usées par la pénibilité persistante de leurs conditions de travail. Les centres de services scolaires peinent à pourvoir les postes de psychologues et de techniciennes en service de garde. Et les directions, devenues une courroie de transmission, commencent à déserter l’école publique pour le privé.
Les actions du ministre de l’Éducation devraient, de manière urgente, améliorer les conditions d’exercice des personnels scolaires. C’est une évidence. Or, c’est précisément l’inverse que la réforme qu’il propose risque d’engendrer.
De fait, parmi les caractéristiques d’un environnement de travail reconnues pour mener à la dégradation de la santé mentale du personnel, à son absentéisme, à son intention de démissionner, voire à son décrochage professionnel, on trouve notamment le manque de reconnaissance, la faible latitude décisionnelle, les fortes demandes psychologiques et l’impossibilité de trouver un sens à son travail. Tout indique que le projet de loi aggravera ces risques psychosociaux, alors même que ce gouvernement a adopté en 2021 un projet obligeant les organisations à prévenir ces mêmes risques.
Manque de reconnaissance. La création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) et les mécanismes prévus pour orienter la formation continue du personnel enseignant traduisent un manque de reconnaissance et de confiance flagrant envers le professionnalisme des enseignantes et des équipes-école.
Faible latitude décisionnelle. La création de l’INEE ouvre la voie à un empiètement majeur sur l’autonomie professionnelle des enseignantes. De son propre aveu, le ministre, avec les pouvoirs que lui conférerait cette loi, pourrait vouloir imposer l’adoption de pratiques pédagogiques précises (reconnues comme « efficaces » par l’INEE) dans des écoles qui présentent des taux de réussite trop faibles pour lui.
Demandes psychologiques élevées et non-sens du travail. La réforme proposée, avec son « tableau de bord » de données visant la surveillance du parcours des élèves, viendra accentuer les mesures de reddition de comptes déjà en place sur la réussite scolaire telle que mesurée par des évaluations chiffrées. Ces mesures mettent pourtant de la pression indue sur les enseignantes, alors qu’elles ne contrôlent pas les facteurs qui prédisent la réussite (la défavorisation socio-économique ou le manque de moyens pour faire le travail, par exemple). Réduire leur travail à de telles évaluations chiffrées risque fort, en outre, de contribuer au non-sens de l’exercice de leur métier.
Bref, alors que le projet de loi 23 prétend, avec la création de l’INEE, vouloir mettre la Science au coeur des pratiques pédagogiques et de gestion en éducation, il fait fi des connaissances scientifiques disponibles sur les effets du type de mesures qu’il sous-tend.
Nous faisons appel à la lucidité des parlementaires : cette réforme risque de plonger le système d’éducation, déjà fortement fragilisé, dans une situation de crise sans précédent. Il est encore temps d’écarter ce projet de loi.
Dans la foulée, afin de baser les décisions collectives sur des « données probantes », nous invitons le ministre Drainville à profiter de la négociation actuelle des conventions collectives dans le milieu de l’éducation afin d’améliorer les conditions de travail de celles et ceux qui oeuvrent au quotidien à transmettre à nos enfants notre culture et les connaissances nécessaires pour favoriser leur développement intégral et celui de la société.
Voilà le geste le plus urgent à poser pour répondre aux défis auxquels fait face notre système éducatif.
* Cette lettre est appuyée par 13 professeurs :
Nancy Goyette, Ph. D., professeure, Département de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Mylène Leroux, Ph. D., professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Jessica Riel, Ph. D., professeure titulaire, Département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal
Céline Chatigny, Ph.D, professeure titulaire retraitée, associée au Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal.
Geneviève Baril-Gingras, Ph.D., professeure titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval
Frédéric Yvon, Ph.D., professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation, Université de Montréal
Marie-France Maranda, Ph.D., professeure titulaire retraitée, École de counseling et d’orientation, Université Laval
Louise St-Arnaud, Ph.D., professeure titulaire, École de counseling et d’orientation, Université Laval
Angelo Soares, professeur titulaire, Département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal
Jean-Noël Grenier, Ph.D., professeur titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval
Vanessa Rémery, Ph.D., professeure, Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal.
Emmanuel Poirel, Ph.D. professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation. Faculté des sciences de l’éducation. Université de Montréal
Catherine Le Capitaine, Ph.D., professeure titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval
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