Quid des recherches en éducation ?

Le 2 mai dernier, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a réaffirmé que l’école à trois vitesses n’existe pas au Québec. Or, des décennies de recherches quantitatives et qualitatives ont éclairé ce phénomène au Québec et ailleurs dans le monde. Ces recherches montraient que l’école à trois vitesses existe et contribue à exacerber les inégalités entre les élèves. On le sait, au Québec, les élèves fréquentant les classes ordinaires au secondaire ont seulement 15 % de chances d’accéder à l’université, comparativement à 51 % pour les élèves fréquentant des classes enrichies et à 60 % pour les élèves fréquentant des écoles privées, selon une étude du professeur Pierre Canisius Kamanzi. Ces inégalités sont l’effet des pratiques de sélection et de séparation précoce des élèves dès l’entrée en première année du secondaire, des pratiques qui se sont intensifiées de décennie en décennie depuis les années 1980.
Parallèlement, par son projet de loi 23, le ministre annonce la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE), dans lequel les recherches dites « probantes » en éducation seront compilées pour favoriser l’efficacité de la formation continue, voire initiale, des enseignants. Or, s’il souhaite considérer les recherches « probantes » en éducation, que fait-il de toutes les recherches ayant montré, chiffres à l’appui, notamment avec des bases de données fournies par le ministère de l’Éducation, que l’école à trois vitesses est inégalitaire et qu’elle contribue à renforcer les inégalités entre les groupes sociaux au Québec ?
En tant que chercheurs universitaires, nous partageons la volonté de s’appuyer sur la recherche pour éclairer les décisions et l’enseignement afin d’assurer la réussite éducative de tous. Toutefois, nous sommes extrêmement inquiets que l’INEE, un institut qui sera fortement contrôlé par le ministre de l’Éducation, ne mette en évidence que certains « points de vue » de la recherche, tout en gardant sous silence d’autres résultats n’allant pas de pair avec les visées du parti politique au pouvoir. Pour éviter toute lecture réductrice de la recherche et toute dérive décisionnelle pouvant en découler, cet institut, si sa création est confirmée, devrait refléter une diversité de résultats de recherche critiques, tout comme le Conseil supérieur de l’éducation l’a si bien fait dans les dernières décennies. Il devrait également accorder une place prépondérante aux universitaires, les principaux artisans de la recherche en éducation. Or, dans le projet de loi 23, il est prévu qu’un seul membre de la communauté universitaire puisse y siéger. Afin de bien éclairer les décisions sur la formation des enseignantes et enseignants, les membres du Conseil d’administration de cet institut devraient conserver une autonomie intellectuelle et être diversifiés en matière de points de vue sur la recherche et de positionnalité. En ce sens, ce comité devrait inclure, notamment, des femmes, des personnes des Premiers Peuples, des communautés de personnes noires, immigrantes, racisées et LGBTQ2+, etc.
Plus que jamais, nous devons revenir aux fondements de la réforme Parent, à la démocratisation de l’accès à l’éducation et à l’égalité de traitement et de résultats pour tous les élèves du Québec. En tant que chercheurs, nous demandons de revoir la mission, le fonctionnement et la constitution de cet institut afin que le Québec puisse dire qu’il aura tout fait pour respecter le droit à l’éducation de tous ses enfants et pour contrer les injustices scolaires générées par le fonctionnement de notre système d’éducation à trois vitesses. Les facultés et départements des sciences de l’éducation, qui travaillent durement pour éclairer les politiques, les pratiques et les formations grâce à des recherches menées avec et pour les milieux scolaires, doivent être reconnues pour leur expertise et doivent pouvoir continuer d’exercer leur travail en toute autonomie.
*Ont aussi cosigné ce texte :
Marc-André Éthier, Directeur national du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), professeur titulaire, Université de Montréal
Anderson Araújo-Oliveira, Directeur du CRIFPE-Université du Québec, professeur, Université du Québec à Montréal
Sawsen Lakhal, Directrice du CRIFPE- Université de Sherbrooke (CRIFPE-UdeS), professeure agrégée, Département de pédagogie.
Simon Collin, chercheur au CRIFPE, professeur, Faculté des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal
David Lefrançois, chercheur au CRIFPE, professeur, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Mylène Leroux, chercheuse au CRIFPE, professeure, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Rola Koubeissy, chercheuse au CRIFPE, professeure adjointe, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Geneviève Sirois, chercheuse au CRIFPE, professeure, Université TELUQ
Sivane Hirsch, professeure titulaire, Université du Québec à Trois-Rivières
Corina Borri-Anadon, professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation Université du Québec à Trois-Rivières
Andréanne Gélinas-Proulx, professeure, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Fasal Kanouté, professeure titulaire, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Josée Charette, professeure, Université du Québec à Montréal
Emmanuelle Doré, chercheuse au CRIFPE, professeure, Département de gestion de l’éducation et de la formation, Université de Sherbrooke
Julie Larochelle-Audet, professeure, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Françoise Armand, professeure titulaire, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Mélanie Paré, professeure agrégée, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Nathalie Trépanier, professeure titulaire, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Marie-Josée Goulet, professeure, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Suzanne Guillemette, chercheuse au CRIFPE, professeure titulaire, Département gestion de l’éducation et de la formation, Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke
Geneviève Audet, professeure, Faculté des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal
Catherine Maynard, professeure adjointe, Département de langues, linguistique et traduction, Université Laval
Canisius Kamanzi, professeur, Faculté des Sciences de l’éducation, Université de Montréal
Martial Dembélé, professeur titulaire, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Catherine Gosselin-Lavoie, professeure adjointe, Département de didactique, Université de Montréal
Adriana Morales-Perlaza, professeure agrégée, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Nancy Goyette, professeure, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Emmanuel Poirel professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Gina Lafortune, professeure, Faculté des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal
Charles-Antoine Bachand, professeur, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais