Risques et périls de l’Institut d’excellence en éducation

« Nous implorons le ministre d’élargir son point de vue en écoutant davantage les scientifiques et les enseignants », écrit l’autrice.
Jacques Boissinot La Presse canadienne « Nous implorons le ministre d’élargir son point de vue en écoutant davantage les scientifiques et les enseignants », écrit l’autrice.

Nous prenons position aujourd’hui comme scientifiques et enseignants experts de terrain pour informer la population des risques et périls associés au projet de loi sur l’Institut national d’excellence en éducation. En effet, l’ingérence dont fait preuve le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, sur la question est outrageuse.

Dans quel autre domaine le gouvernement se donne-t-il autant de pouvoir décisionnel et arbitraire sans consulter qui que ce soit ? Quels sont les réels motifs qui soutiennent la création d’un tel institut ? Il est fort pertinent de se préoccuper de l’apprentissage, du développement et de la réussite des élèves. Mais les approches et les stratégies doivent être diversifiées et adaptées à leurs besoins selon les contextes. C’est pourquoi les enseignants, qui sont des experts de l’enseignement et de l’apprentissage, doivent être formés adéquatement pour être en mesure de réfléchir au meilleur accompagnement possible. La pratique enseignante ne se limite pas à des stratégies simplistes qui sont proclamées « efficaces » par certains universitaires et centres de services scolaires convaincus de diffuser une panacée.

Un changement de vision s’impose

Depuis des décennies, les milieux éducatifs se font imposer une vision néolibérale de l’éducation, laquelle encourage des visées utilitaires et des valeurs telles que l’individualisme, la compétition ou l’imputabilité. Dans un système qui a été dénoncé en 2022 comme étant le plus inégalitaire par son fonctionnement à trois vitesses, peut-on espérer améliorer les choses pour nos enfants et adolescents en créant une autre structure ? Comment peut-on continuer dans cette orientation néolibérale si elle ne fait qu’exacerber les injustices socioscolaires ?

La complexité de la profession enseignante requiert une formation de qualité pour que les enseignants soient capables de jongler avec les responsabilités qui leur incombent. Une formation écourtée ne tient pas la route. En ajoutant une structure à un système d’éducation qui a déjà des allures de tour de Babel sans s’intéresser à la réalité humaine, on ne fait que mettre un diachylon sur une hémorragie qui ne cesse de perdurer et de s’aggraver. Le réel enjeu se situe dans les conditions de travail qui ne permettent pas aux enseignants de réaliser une prestation de travail à la hauteur de ce qu’ils devraient exercer comme professionnels.

L’Institut national d’excellence en éducation est une fausse bonne idée. Qu’apporterait cette nouvelle infrastructure en ce qui a trait à la recherche et à la formation en éducation ? Honnêtement, nous n’avons rien contre le principe de l’excellence. À cet égard, des chercheurs font de l’excellente recherche sur le terrain pour enrichir la formation. Le Québec est reconnu à travers la francophonie comme étant un bassin d’innovation pour ses programmes de formation et ses approches méthodologiques diversifiées et collaboratives.

Nous appelons à la mobilisation de tous les acteurs du milieu qui ont à cœur l’éducation et son avenir. Il faut faire preuve d’autonomisation afin de créer des milieux dans lesquels tous pourront enfin s’épanouir. Nous implorons le ministre d’élargir son point de vue en écoutant davantage les scientifiques et les enseignants qui possèdent certaines propositions pour améliorer concrètement le système. Mettre en place cette structure ne profitera à personne, sauf à quelques opportunistes qui ont une vision obsolète de ce que devrait être l’école.

* Ont aussi signé ce texte :
Judith Émery-Bruneau, Ph.D., professeure titulaire, chercheuse en sciences de l’éducation, UQO, membre du CRIFPE ;
Françoise Armand, professeure titulaire, université de Montréal ;
Joëlle Arbour-Maynard, enseignante démissionnaire au primaire, étudiante à la faculté d’éducation, Université Laval ;
Jean Danis, Chargé de cours, doctorant en éducation, Université du Québec à Montréal, membre du CRIFPE ;
Fikry Rizk, Chargé de cours, département de didactique - UQAM, enseignant retraité de l’enseignement secondaire, CSDL ;
Mélanie Paré, Ph.D., professeure agrégée, Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal ;
Mylène Leroux, Ph.D., professeure titulaire, chercheuse en sciences de l’éducation, UQO, membre du CRIFPE ;
Mathieu Thibault, Ph.D., professeur, chercheur en sciences de l’éducation, UQO ;
Charles-Antoine Bachand, Ph.D., professeur, chercheur en sciences de l’éducation, UQO ;
Valériane Passaro, Ph.D., professeure, chercheuse en didactique des mathématiques, UQAM ;
David Lefrançois, Ph. D., professeur, UQO, membre du CRIFPE ;
Andréanne Gélinas-Proulx, Ph.D., professeure et chercheuse en gestion et leadership en éducation, UQO ;
Marie-Josée Goulet, professeure, chercheuse en sciences de l’éducation, UQO.

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