Que pensez-vous de la science en français?

La prédominance de l’anglais en science s’est de plus en plus imposée au cours des dernières décennies, et le Québec n’y a pas échappé. La très grande majorité des publications scientifiques dans le monde est aujourd’hui en anglais. Face à cette situation préoccupante, comment mieux promouvoir la science en français ? C’est à partir de cette question que les Fonds de recherche du Québec (FRQ), que je dirige, ont tenu les 26 et 27 avril derniers à Montréal le forum La science en français au Québec et dans le monde, auquel ont pris part plusieurs centaines de personnes inscrites en présentiel et en virtuel.
Plus d’une quarantaine d’experts et d’expertes des Amériques, de l’Europe et de l’Afrique francophone sont venus présenter des constats, en discuter, et proposer des solutions pour accroître l’utilisation de la langue française et la faire vivre dans les publications savantes, la communication auprès du grand public, la formation et l’enseignement, la pratique de la recherche et en matière de diplomatie scientifique.
Afin d’alimenter les échanges du forum, les FRQ ont mené un sondage en mars dernier auprès des 2488 boursiers et boursières au doctorat et au postdoctorat qu’ils soutiennent en 2022-2023. Composé d’une série de questions portant sur les principaux aspects de la pratique de la recherche, ce sondage visait à mieux connaître la fréquence d’utilisation de la langue française dans le milieu scientifique au Québec. Les réponses des 826 personnes qui se sont prêtées à l’exercice ont permis de prendre le pouls quant à la place de la langue française au sein de la relève en recherche.
La science en français est essentielle et importante, mais…
À la question « Que pensez-vous de la science en français ? », 92 % des boursiers et boursières reconnaissent son caractère essentiel et important, malgré les défis qu’elle peut représenter. La langue française est une belle et riche façon de faire de la recherche, mais elle peut représenter un obstacle pour la communication, l’avancement de carrière et la collaboration internationale.
Concernant la publication des travaux de recherche, les résultats du sondage confirment, sans grande surprise, la prédominance de l’utilisation de l’anglais : seulement 15 % des boursiers et boursières interrogés affirment rédiger en français seulement ou surtout en français, en particulier ceux du secteur des sciences sociales et humaines. En revanche, ils sont beaucoup plus nombreux à utiliser le français dans leurs activités de diffusion auprès du grand public : 48 % des répondants et répondantes communiquent toujours en français ou plus souvent en français qu’en anglais quand vient le temps de s’adresser à leurs concitoyens et concitoyennes.
Les résultats montrent également que la maîtrise de la langue française est un atout pour les boursiers et boursières qui envisagent de faire un stage dans un pays de la francophonie. Le quart des personnes ont déclaré avoir fait ou prévoir faire un stage dans un pays de la francophonie, et parmi elles, 85 % possèdent un niveau de compétence élevé en français (langue maternelle ou niveau avancé).
Les résultats du sondage indiquent par ailleurs une limitation dans l’utilisation du français parlé dans les milieux de recherche : 46 % affirment que ça ne se passe jamais en français ou plus souvent en anglais qu’en français dans les laboratoires.
Un forum et un sondage axés sur les solutions
La science en français peut compter sur une francophonie forte de plus de 320 millions de personnes sur les cinq continents, et sa progression dans les trente prochaines années passera surtout par l’Afrique. S’il est indéniable que les grandes revues anglophones confèrent une reconnaissance et un impact considérables aux scientifiques, il est par ailleurs crucial de mettre en valeur les avantages de la science en français. La communication dans sa langue maternelle, ici, le français, permet aux scientifiques d’exprimer des idées plus claires et nuancées.
Dans un contexte francophone, la science en français favorise l’intérêt de la relève scientifique et le dialogue science et société. Elle contribue à la littératie scientifique du plus grand nombre, qui est le principal rempart contre la désinformation.
Toutefois, la science en français fait face à des défis de reconnaissance scientifique, d’avancement de carrière, de soutien aux revues scientifiques, de collaborations scientifiques, tant au Québec qu’au niveau international. Il est donc primordial d’explorer des pistes de solution pour mieux promouvoir une francophonie scientifique forte et dynamique. C’est dans cette posture que les FRQ ont mené le sondage et tenu le forum.
Les boursiers et boursières ayant participé au sondage ont proposé la création d’un réseau pour favoriser la diffusion du savoir et la mobilité dans la francophonie, une solution qui renforcerait les collaborations entre les différents pays et régions francophones. Pour qu’on publie davantage en français, l’offre d’outils performants de traduction, la valorisation des publications en français dans les dossiers universitaires et un meilleur soutien financier sont au nombre des solutions. La promotion des congrès scientifiques en français au Québec, au Canada et dans l’espace francophone, la possibilité de suivre des programmes universitaires exclusivement en français et la reconnaissance de la communication scientifique auprès du grand public sont aussi des pistes de solution formulées par les personnes sondées.
Dans leurs aspirations à une carrière en science, la langue française sera très importante, importante ou assez importante, nous disent 75 % des boursiers et boursières soutenus par les FRQ. Tant ce coup de sonde que les propos tenus par ceux et celles ayant participé au forum nous indiquent que les universités et les organismes de financement doivent mieux reconnaître la communication en français à l’intention des pairs ou du grand public. Avec le numérique, il faudra miser sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français, au bénéfice des citoyens et des citoyennes d’ici et d’ailleurs dans la francophonie. Nombreux sont ceux et celles qui voient un plurilinguisme fort pour l’avenir de la science, duquel le français sera un élément indispensable, tel est le qualificatif qui s’est imposé dans le nuage de mots créé lors du forum !
Les propositions faites lors du forum et dans le cadre du sondage seront analysées, car les FRQ entendent résolument en mettre quelques-unes en oeuvre. Donnons à la science en français un nouvel élan !