Clauses d’amnistie, une faille de trop dans les cégeps et universités

36 % de l’ensemble des membres des communautés universitaires et collégiales subiront une violence à caractère sexuel durant leur parcours, rapporte l’autrice.
Photo: iStock 36 % de l’ensemble des membres des communautés universitaires et collégiales subiront une violence à caractère sexuel durant leur parcours, rapporte l’autrice.

« Une faille dans le processus, s’expliquant par une erreur humaine. » C’est par ces mots, prononcés en février dernier, que la direction d’une école de la Montérégie a justifié le fait d’avoir eu durant 15 ans parmi son corps enseignant un homme qui avait pourtant été condamné à trois reprises pour proxénétisme au cours des années 1990.

Étant donné la nature des chefs d’accusation, il convient de relever l’euphémisme que représente l’explication offerte par l’école : l’erreur commise est en fait gigantesque, la faille, béante. De surcroît, elle illustre l’importance cruciale de tenir compte des infractions commises dans le passé lorsque vient le temps de sévir contre les violences à caractère sexuel. La récidive ne doit pas demeurer impunie. Pour préserver la sécurité du public, il est alors essentiel que les failles administratives qui permettent ce genre de situation soient rapidement colmatées.

À ce chapitre, les associations étudiantes des universités et des cégeps de la province ainsi que leurs alliés des milieux associatifs et syndicaux désirent alerter vos ministères sur le fait que l’une de ces failles continue à miner la sécurité des membres des communautés universitaires et collégiales de la province. Cette faille concerne les clauses d’amnistie. Il s’agit d’une disposition présente dans la plupart des conventions collectives en vigueur dans les universités de la province qui entraîne l’effacement des infractions contenues dans les dossiers disciplinaires du personnel employé après aussi peu qu’un ou deux ans, selon les conventions.

L’application des clauses d’amnistie dans le cas d’infractions de nature sexuelle permet donc à une personne de commettre une violence à caractère sexuel, d’attendre son effacement de son dossier disciplinaire après un ou deux ans et de récidiver sans que la sanction à laquelle elle s’expose tienne compte du caractère répétitif des violences dont elle est responsable. Une personne coupable de récidive peut donc maintenir son lien d’emploi avec un établissement d’enseignement supérieur, pour peu que les infractions dont elle est coupable aient été commises à des intervalles d’une durée conforme à sa convention collective.

Par conséquent, l’inclusion des violences à caractère sexuel aux clauses d’amnistie empêche l’application par les universités et les cégeps de l’article 3.15 de la Loi visant à prévenir et combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur, selon lequel les politiques institutionnelles doivent contenir « des sanctions applicables en cas de manquements […], qui tiennent compte de leur nature, de leur gravité et de leur caractère répétitif ».

La situation actuelle représente donc un risque important pour la sécurité de l’ensemble de la communauté universitaire. Il est de votre responsabilité, Mme Pascale Déry, à titre de ministre de l’Enseignement supérieur, de rectifier la situation. Du reste, nous nous doutons que ces informations ne vous surprendront guère. Comme le souligne le récent rapport de mise en oeuvre de la Loi, les exécutifs de nos associations ont rencontré à de multiples reprises les membres de votre cabinet et ceux de celui du ministre du Travail, pour leur exprimer nos préoccupations face à cette situation.

Lors de ces rencontres, vous et vos équipes vous êtes tour à tour déresponsabilisés de l’enjeu en indiquant que sa résolution relèverait, en fin de compte, des négociations préalables à l’adoption de ces conventions collectives dans chacun des établissements de la province. De fait, vous permettez que cet article pourtant crucial de la Loi soit négocié tantôt au profit des administrations universitaires et collégiales, tantôt au profit des syndicats, mais jamais au bénéfice des victimes des violences à caractère sexuel commises dans les universités et les cégeps.

Il est pourtant clair que la priorité de tout ministère devrait non seulement être d’assurer le respect des lois dont il est responsable, mais surtout d’assurer la sécurité des personnes utilisatrices des services qu’il fournit. Il convient de rappeler que les violences à caractère sexuel sont toujours un problème d’actualité dans les établissements d’enseignement supérieur.

Selon les données les plus récentes, 40,6 % des femmes et 50,7 % des personnes issues de la communauté LGBTQIA2S+ seront effectivement victimes d’une forme ou d’une autre de ce type de violence commis par un autre membre de leur établissement au cours de leurs études. Plus généralement, c’est 36 % de l’ensemble des membres des communautés universitaires et collégiales qui subiront une violence à caractère sexuel durant leur parcours.

Voilà pourquoi nous vous encourageons à mettre rapidement en place les changements législatifs nécessaires pour exclure les infractions de nature sexuelle des clauses d’amnistie présentes dans les conventions collectives en vigueur dans les établissements d’enseignement supérieur de la province. Il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de poser des gestes concrets au bénéfice de la sécurité de tous et de toutes.

* Ont aussi signé ce texte :
Samy-Jane Tremblay, présidente de l’Union étudiante du Québec (UEQ)
Julianna Smith, coordonnatrice des affaires extérieures et de la mobilisation de Concordia Student Union (CSU)
Vickie Bourque, présidente de la Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval (CADEUL) 
Macia De Oliveira, présidente de l’Association étudiante de la télé-université de l’Université du Québec (AÉTÉLUQ)
Ghita Hemri, présidente par intérim de l’Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieurs (AÉLIES) 
Catherine Pelletier, présidente de l’Association étudiante de l’École des sciences de la gestion (AéESG)
Thibault Jousselin, secrétaire général de l’Association générale étudiante de l’Université du Québec à Trois-Rivières (AGEUQTR)
Alexandre Guimond, directeur général du Regroupement étudiant de maîtrise, diplôme et doctorat de l’Université de Sherbrooke (REMDUS)
Kristi Kouchakji, secrétaire générale de Post-Graduate Students’ Society of McGill University (PGSS)
Nicolas Charron, coordonnateur aux affaires externes de l’Association étudiante de Polytechnique (AEP)
Élisa Lemée, coordonnatrice aux affaires locales et environnementales du Mouvement des associations générales étudiantes de l’Université du Québec à Chicoutimi (MAGE-UQAC)
Mamadou Lamarana Diallo, président de l’Association générale étudiante de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (AGEUQAT)
Jérémie Cholette, président de l’Association des étudiants de cycles supérieurs de HEC Montréal (AECSHEC)
Gabrielle Fréchette-Boilard, présidente de l’Association générale des étudiants hors campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières (AGE-HC)
Marie Christine Hudon, présidente de l’Association générale des étudiant.e.s de l’Université du Québec à Rimouski, campus Lévis (AGECALE)
Ivan Trancart, président de l’Association étudiante des cycles supérieurs de Polytechnique (AÉCSP)
Adil Hussain, président de l’Association étudiante de l’École de technologie supérieure (AÉÉTS)
Hadrien Chénier-Marais, président et coordonnateur général de l’Association générale des étudiantes et étudiants de la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal (AGEEFEP)
Cynthia Mbuya-Bienge, présidente du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs Étudiants et Postdoctoraux de l'Université Laval (STEP)
Bruce McKenna, responsable des affaires externes du Syndicat des étudiants et étudiantes employé(e)s de l’UQAM (SÉTUE)
Sylvain Bisaillon, président de l’Alliance internationale des employés de scène de théâtre et de cinéma des États-Unis, de ses territoires et du Canada section locale 262 (AIEST)
Christian Lacelle, président du Syndicat des étudiants et étudiantes salarié(e)s de l'Université du Québec en Outaouais (SEES-UQO)
Kwabena Otchere, président du Syndicat des employé(e)s des bibliothèques de l'Université Concordia (FEESP-CSN)
Mélanie Médard, vice-Président à la communication et à la mobilisation de l’Association syndicale des travailleurs étudiants et travailleuses étudiantes de l’UQTR (ASTRE-AFPC)
Émilie Cormier, présidente du Syndicat des étudiants et étudiantes salarié(e)s de l'Université du Québec à Rimouski (SEES-UQAR)
Martin Trudeau, président de l’Association des cadres et professionnels de l’Université de Montréal (ACPUM)
Association générale du Cégep du Baie-Comeau (AGEECBC)
Regroupement des étudiants et étudiantes du Cégep de Saint-Hyacinthe (RÉÉCSH)
Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)
Simon Telles, président de Force Jeunesse

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