La participation citoyenne en urbanisme placée sur la voie de garage

Le projet de loi n°16, Loi modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, est actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale du Québec.
Grzegorz Malec Getty Images iStockphoto Le projet de loi n°16, Loi modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, est actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale du Québec.

Alors que les députées et députés à l’Assemblée nationale étudient en ce moment le projet de loi 16, qui modifie la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, nous souhaitons porter à l’attention du public que la réforme actuellement dans les cartons risque de marquer un recul important en matière de participation citoyenne.

Cette réforme devrait être une occasion pour que le cadre légal se mette au diapason des défis énormes qui caractérisent le développement du territoire et des communautés qui y vivent. Or, dans son état actuel, le projet de loi 16 n’est pas à la hauteur de ce que le Québec est en mesure de faire pour faciliter la participation et la prise en main de leur propre développement par les actrices et acteurs locaux et régionaux, citoyennes et citoyens compris.

D’abord, le projet de loi propose d’abroger les dispositions concernant les politiques de participation publique. Ensuite, il ajoute des exceptions au processus d’approbation référendaire. Enfin, il fait de la consultation écrite la nouvelle norme pour les municipalités en lieu et place de l’assemblée publique.

Des dispositions qui disparaissent

 

Nous déplorons les articles du projet de loi 16 qui abrogent à la fois le cadre de référence sur la participation publique en aménagement du territoire et le Règlement sur la participation publique (lequel permet aux municipalités de se soustraire à l’approbation référendaire à certaines conditions).

Rappelons que ce règlement a été adopté en 2017 à la suite des recommandations d’un groupe de travail. Celui-ci a eu un effet fort positif sur la reconnaissance de la participation publique : le nombre de municipalités dotées d’une politique de participation publique est passé de quelques-unes à plusieurs dizaines, alors que bien peu ont choisi de se soustraire à l’approbation référendaire. Il n’en demeure pas moins que depuis 2017, nous avons observé une amélioration notable de la manière dont la participation publique est comprise et, surtout, menée à l’échelle du territoire.

L’abrogation des dispositions concernant la participation publique risque d’ouvrir la porte à davantage d’improvisation, mais surtout ne nous permet pas d’envisager que les projets soumis bénéficient des améliorations qui proviennent d’une variété de perspectives et de savoirs.

Nous proposons donc d’introduire l’obligation pour les municipalités ou MRC d’adopter et de maintenir en vigueur une politique de participation publique propre à préserver des objectifs de participation active en amont des décisions, de fixation de délais adaptés aux circonstances et de balises de rétroaction. Et cela, tout en leur donnant la flexibilité d’adapter leurs pratiques à leurs réalités et moyens.

De nouvelles exceptions à l’approbation référendaire

Cela est d’autant plus nécessaire que le projet de loi 16 introduit de nouvelles exemptions au processus d’approbation référendaire et, du même coup, justifie l’abrogation du cadre de participation publique.

Dans le contexte actuel, l’exemption référendaire pour des équipements collectifs, par exemple, semble requise afin d’éviter les oppositions que plusieurs n’ont pas hésité à qualifier de « pas dans ma cour ». Or, ce faisant, le projet de loi 16 passe à côté du problème : comment susciter et encadrer une participation publique constructive et susceptible d’influencer positivement les décisions publiques ? Cette question demeure incontournable, car même avec les meilleures intentions, un projet peut rater sa cible.

Surtout, cela ne devrait pas empêcher la mise en place d’un chantier sur l’approbation référendaire en urbanisme, pour explorer une réforme en profondeur plutôt que de procéder à la pièce en introduisant une série d’exceptions. C’est aussi ce que propose l’Ordre des urbanistes du Québec.

Car si le législateur décidait de retirer à la population le droit de s’opposer par voie de référendum, il faudrait en contrepartie lui donner au minimum la possibilité de formuler ses commentaires et d’être entendu par l’entremise de dispositifs formels et de privilégier que cette contribution se fasse en amont des projets.

La consultation écrite, nouvelle panacée ?

Le projet de loi 16 introduit la consultation écrite comme mode de participation privilégié par défaut, avec une durée minimale de deux semaines, selon des modalités publiées dans un journal local.

 

Ces exigences minimales sont insuffisantes et de nature à faire reculer la participation. Ce mode de consultation évacue la possibilité de débattre et ainsi d’alimenter et d’enrichir la réflexion. De plus, nombre de nos concitoyennes et concitoyens vives des problématiques liées à la littératie ou ne sont simplement pas branchés sur Internet, par choix ou par dépit.

À cela s’ajoute l’absence d’un cadre de référence plus substantiel, comme proposé par les principes de la participation publique qu’on souhaite abroger dans la nouvelle version de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Nous craignons d’observer un déséquilibre dans les rapports de pouvoir et une fragilisation du lien de confiance entre la population et les gouvernements locaux.

Dans un contexte de participation démocratique malmené par la désinformation, la polarisation des opinions, la méfiance grandissante à l’égard des institutions publiques et la lente mais constante baisse du taux de participation aux élections municipales, ne manquons pas l’occasion de mieux légiférer pour susciter et améliorer la contribution des citoyennes et des citoyens à la vitalité des territoires et de notre démocratie.

En 2023, nous n’avons pas les moyens collectivement d’envoyer la participation citoyenne sur la voie de garage.

* Ont aussi signé cette lettre :

Pierre Baril, ex-président du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE)

Laurence Bherer, professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal

Luc Doray, ex-secrétaire général de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM)

Laurent Gauthier, pour le conseil d’administration de l’ESSA, un regroupement d’entreprises d’économie sociale et solidaire en aménagement du territoire et en design

Louise Harel, ministre de la Métropole et des Affaires municipales de 1998 à 2002

Maude Marquis-Bissonnette, professeure adjointe à l’École nationale d’administration publique (ENAP) en gestion municipale

David-Martin Milot, professeur à l’Université de Sherbrooke et médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive

Florence Paulhiac Scherrer, professeure titulaire à l’ESG UQAM et titulaire de la Chaire internationale sur les usages et pratiques de la ville intelligente

Louise Roy, ex-présidente de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM)

Louis Simard, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

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