Ordonnance de non-publication, un appel à la responsabilité, par Catherine Fournier

« J’espère aujourd’hui que ma prise de parole servira à ce que les personnes victimes soient mieux protégées », écrit la mairesse de Longueuil. Ci-haut, Catherine Fournier en mars 2019, alors députée indépendante de Marie-Victorin.
Photo: Guillaume Levasseur archives Le Devoir « J’espère aujourd’hui que ma prise de parole servira à ce que les personnes victimes soient mieux protégées », écrit la mairesse de Longueuil. Ci-haut, Catherine Fournier en mars 2019, alors députée indépendante de Marie-Victorin.

Deux ans et demi ont passé depuis que j’ai d’abord souhaité publier une telle lettre. Deux ans et demi que je me retiens de diffuser ces mots.

J’ai été agressée sexuellement par un collègue député, en octobre 2017. Si j’ai d’abord choisi de remiser cet événement dans une petite case de mon cerveau, c’est que le déni m’apparaissait plus facile que son alternative : dénoncer. J’avais 25 ans, j’étais élue depuis moins d’un an et je ne voulais surtout pas faire de vagues. J’ai toutefois appris que ce n’est pas parce qu’on veut oublier qu’on oublie.

Entre l’agression et le moment de ma dénonciation, je me suis d’ailleurs souvent trouvée lâche. Alors que mes déclarations publiques encourageaient les personnes victimes à porter plainte, je n’étais moi-même pas prête à faire face au système judiciaire. Je m’en voulais aussi de garder le silence, puisque j’avais l’impression qu’en agissant ainsi, d’autres femmes étaient à risque de vivre ce que j’avais vécu. Je me sentais égoïste et hypocrite.

En juillet 2020, au bout d’un long cheminement personnel au terme duquel j’ai finalement décidé de porter plainte, j’ai rassemblé tout mon courage pour me rendre dans un poste de police de la Sûreté du Québec, où j’ai été accueillie avec tact, respect et empathie par l’agent, même s’il était 16 h 45, un vendredi. Une semaine plus tard, j’ai rencontré un enquêteur des crimes majeurs pour enregistrer mon témoignage, toujours dans l’ouverture. On m’a par la suite dirigée vers un enquêteur de la région où le crime avait été commis.  

Cet enquêteur est devenu le responsable de mon dossier, celui avec lequel j’ai pu être en contact tout au long du processus d’enquête, qui s’est étiré sur plusieurs mois. Disponible et bienveillant, il a été d’un soutien immense pour moi. Si j’insiste sur la qualité du travail des policiers, c’est que je suis convaincue qu’il est important de souligner les avancées du système, mais pour que les choses continuent de s’améliorer, il faut aussi mettre au jour ses ratés.

On a décidé pour moi

En juillet 2020, j’ai décidé de porter plainte parce qu’on m’a préalablement assuré que mon identité serait protégée, une possibilité que j’ignorais auparavant. Cette garantie d’anonymat est ce qui m’a convaincue d’aller de l’avant : c’est elle qui a constitué le tournant dans mon cheminement.

Il y a toutes sortes de raisons qui peuvent expliquer pourquoi une victime ne souhaite pas porter plainte contre un agresseur, ou décide de le faire plus tard dans sa vie. J’ai les miennes. L’une d’entre elles concernait mon occupation professionnelle, ainsi que celle de l’autre personne en cause dans l’histoire. La dernière chose que je voulais, c’est d’avoir à gérer une tempête médiatique me concernant, en même temps que de devoir composer avec les émotions qu’une telle dénonciation peut susciter.

Je ne pouvais ni changer ni ignorer ce qui m’était arrivé, mais il me semblait légitime de ne pas vouloir être au cœur d’une affaire qu’on n’a jamais cherchée. Plus encore, je voulais surtout protéger mes parents, mes frères, ma grand-mère et mes proches d’une peine que je jugeais inutile, en les mettant du même coup à l’abri du tapage médiatique. Je n’ai finalement pas eu le choix : on a décidé pour moi.

La protection de l’identité des victimes d’agression sexuelle est prévue à l’article 486.4 du Code criminel. Cet article prévoit qu’une ordonnance de non-publication interdit à quiconque « de diffuser ou de publier de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ». Ainsi, tous les intervenants impliqués dans mon processus (Juripop, CAVAC, SQ, DPCP) m’ont assuré — et répété 1001 fois, au vu de mes demandes insistantes — que tout ce qui devait être accessible aux médias et au public était la ville et l’année du crime, de même que le nom de l’agresseur et le chef d’accusation déposé à son endroit : rien de plus que cela. C’est du moins la promesse qu’on m’a faite pendant six mois.

62 minutes. C’est le temps que ça aura finalement pris entre l’arrestation de mon agresseur le 15 décembre 2020 et la communication de renseignements permettant de m’identifier dans les médias (ma fonction, mon lieu de travail, mon âge, la date de l’événement, le cadre dans lequel l’agression s’est déroulée, etc. — tout y est passé). Or, le pire était à venir. En fin de journée, un chroniqueur a carrément dévoilé mon nom en direct à la télévision, dans le cadre d’une émission diffusée à heure de grande écoute, partout au Québec.

Quand je repense à cette journée, j’ai encore mal au cœur. Mal au cœur de ce cafouillage des communications du corps de police chargé de mener l’opération. Mal au cœur des réactions trop tardives du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans ses tentatives de rectifier le tir. Mal au cœur du jeu auquel se sont adonnés la plupart des médias. J’imagine aussi encore la déception ressentie par tous les intervenants du système qui m’avaient accompagnée avec tant de professionnalisme depuis le jour 1.

Prise de responsabilité

Sur le coup de l’émotion, quelques jours plus tard, j’ai souhaité publier une lettre ouverte anonyme pour dénoncer la situation. La procureure assignée au dossier m’a fortement déconseillé d’aller de l’avant, ce que j’ai rapidement compris et accepté. Ma lettre a cependant dû être envoyée sur-le-champ à la partie adverse, car le DPCP doit fournir tous les éléments ayant trait à la cause aux avocats de la défense.

Plusieurs extraits du texte que vous avez présentement devant les yeux sont d’ailleurs issus de cette lettre de décembre 2020, car deux ans et demi plus tard, ils traduisent toujours aussi bien ma pensée. Si la colère et le sentiment de trahison sont forcément moins vifs avec le temps, je demeure profondément blessée et marquée par les conséquences de ce non-respect d’ordonnance. J’espère aujourd’hui que ma prise de parole servira à ce que les personnes victimes soient mieux protégées.

En juillet 2020, en pleine vague de dénonciations, j’aurais pu raconter mon histoire anonymement sur les réseaux sociaux, mais j’ai choisi de faire confiance au système de justice. La moindre des choses serait de collectivement nous assurer que l’identité des victimes y soit minimalement aussi protégée qu’elle peut l’être derrière une page Facebook ou un avatar Twitter.

Figures connues ou pas, il y a de vraies personnes derrière les victimes d’agressions sexuelles. Des personnes avec une famille et des amis. Des personnes avec des sentiments, des motivations, des aspirations et des espoirs. Des personnes qui, en demandant le recours à l’ordonnance de non-publication dûment prévue au Code criminel, font un choix qui ne devrait appartenir qu’à elles.

C’est à ces personnes que nous devrions prioritairement penser lorsqu’un tel dossier est traité dans l’espace public. J’en appelle à une prise de responsabilité.

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