Des équipes sociales et communautaires pour répondre aux crises

La montée du néolibéralisme et l’effritement de l’État-providence ont contribué à mettre à mal les protections sociales offertes aux populations les plus vulnérables de notre société. Plus que des réponses sociales et communautaires, ce sont des réponses policières et judiciaires qui sont privilégiées […]. Alors que les gouvernements coupent dans les services publics et que se déploient des stratégies de désinstitutionnalisation ou de non-institutionnalisation des personnes présentant des problèmes de santé mentale, les budgets alloués à la sécurité et aux organisations policières ne cessent de croître, cela malgré le fait que la criminalité soit en forte baisse depuis les années 1990.
Cette dynamique structurelle, institutionnelle et budgétaire accélère le retrait des logiques de prévention et de prise en charge des personnes en détresse, laissant aux organisations policières le mandat d’intervenir dans des contextes de crise, sans réelle expertise en santé mentale et selon un cadre d’intervention qui vise le maintien ou le retour à l’ordre plutôt que le soutien et l’accompagnement de personnes en détresse.
Or, il a été démontré que les interventions policières, dans ce type de situation, aggravent souvent la crise, entraînant parfois même des morts évitables. […]
Des Idées en revue
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Relations, printemps 2023, no 820.Au Québec comme ailleurs au pays, la situation ne cesse de se dégrader. Les nombreuses critiques et enquêtes du coroner portant sur différentes interventions policières ayant causé la mort de personnes en détresse […] n’ont conduit qu’à l’instauration de différentes mesures. Or, ces dernières — des formations en santé mentale ou aux techniques de désescalade en situation de crise, par exemple — ne remettent pas en cause la place centrale et problématique de la police dans l’intervention. […]
Les équipes mixtes, une solution ?
D’autres approches, comme les équipes mixtes, ont été mises en place au Québec comme ailleurs pour aborder les situations de crise autrement. Dans ces équipes, les effectifs policiers travaillent avec des intervenantes et intervenants psychosociaux pour agir auprès des personnes en détresse. Or, l’efficacité d’une telle solution est limitée. Si les équipes mixtes peuvent jouer un rôle important en amont et en aval de la crise, elles peuvent difficilement intervenir au moment même où celle-ci a lieu, car elles sont rarement en première ligne et, donc, en situation de répondre à des urgences. […]
Ces constats étant posés, pourquoi les manières de faire ne changent-elles pas au Québec ? On le sait, la critique de l’action des forces policières, dans ce domaine comme dans d’autres, y est pour le moins difficile. […] Les forces policières sont parmi les institutions les plus résistantes au changement, et ce, sans que les acteurs politiques y trouvent à redire.
Une question de santé publique
D’autres voies sont pourtant possibles. Dans le cadre d’une méta-analyse réalisée en 2022 et publiée dans la revue Health Social Care in the Community, les chercheuses Natania Marcus et Vicky Stergiopoulos ont montré, en comparant les équipes policières d’intervention de crise, les équipes mixtes et les équipes sociales et communautaires, que ces dernières seraient à privilégier pour intervenir auprès des personnes ayant des troubles de santé mentale […]. Seules les équipes sociales et communautaires prennent le temps nécessaire pour établir une relation de confiance et sécurisante avec des personnes en détresse. Les prioriser permet de reconnaître que ce type d’intervention psychosociale n’est pas une question de sécurité publique, mais bien une question de santé publique.
C’est dans cette perspective que la Ville de Toronto a mis sur pied, en 2021, le Toronto Community Crisis Service, où oeuvre une équipe multidisciplinaire destinée à répondre à des situations de crise vécues par des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Bien que son mandat ne concerne que les situations non urgentes, ce service constitue une solution de rechange à des réponses policières inadéquates. Fondée sur des principes de réduction des méfaits et sur des approches centrées sur les traumatismes, cette initiative vise à offrir une réponse communautaire et psychosociale aux personnes en détresse.
L’équipe Urgence psychosociale-justice (UPS-J), créée à Montréal en 1996, déploie aussi ce type d’approche auprès de personnes vulnérables en situation de crise […].
Si les modèles sont multiples, impliquant diverses ressources — organisées soit comme une première ligne mobile présente dans les rues, soit comme une seconde ligne agissant à la demande d’autres acteurs —, ils ont cependant tous en commun de reconnaître que la réponse à une situation de détresse devrait viser la désescalade, être portée par des professionnels de la santé et de la santé mentale, et faciliter la prise en charge de la personne en situation de crise de manière volontaire par des services de soins répondant à ses besoins. Il est plus que temps d’aller dans cette direction et de revoir le rôle de la police lorsqu’il est question de situations de vulnérabilité et d’interventions auprès des personnes en détresse.
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