Le retour d’Émilie Bordeleau dans nos écoles?

« Les personnes enseignantes au préscolaire et au primaire doivent devenir des généralistes, capables d’enseigner toutes les matières visées par les programmes scolaires », précisent les auteurs.
Mychele Daniau Agence France-Presse « Les personnes enseignantes au préscolaire et au primaire doivent devenir des généralistes, capables d’enseigner toutes les matières visées par les programmes scolaires », précisent les auteurs.

On parle beaucoup d’éducation, ces temps-ci, et l’une des raisons principales de ce regain d’attention, c’est bien sûr l’importante pénurie de personnel enseignant qui sévit dans les écoles primaires aux quatre coins du Québec. Tous s’entendent pour dire qu’il faut trouver des solutions novatrices pour placer dans chaque classe une personne bien formée capable d’exercer ses compétences professionnelles en enseignement au plus grand bénéfice des élèves. Mais certains moyens proposés peuvent laisser perplexe quant à l’atteinte de cet objectif…

Ainsi, l’université TELUQ propose à divers centres de services scolaires son diplôme d’études supérieures spécialisées en éducation préscolaire et en enseignement primaire, après l’avoir expérimenté pendant quelques années auprès du CSS Marguerite-Bourgeoys. Destiné aux personnes détenant déjà un baccalauréat (peu importe dans quel domaine), ce nouveau programme entièrement en ligne promet aux personnes qui enseignent déjà dans des classes du préscolaire et du primaire, mais qui ne sont pas légalement qualifiées pour ce faire, d’obtenir leur brevet d’enseignement, à condition que les exigences du règlement sur les autorisations d’enseigner soient à terme revues à la baisse en leur faveur.

Que contient ce nouveau programme de 2e cycle de 30 crédits ? Un cours d’introduction à la profession enseignante, un cours de gestion de classe, un cours d’évaluation, deux cours de didactique du français, un de mathématiques, deux stages en situation d’emploi, un cours portant sur l’enseignement efficace et un autre abordant l’hétérogénéité des élèves et les pratiques inclusives.

Pas de cours de didactique de la science et de la technologie, ni de cours d’univers social ; rien à propos du cours d’éthique et culture religieuse, qui devrait être remplacé sous peu par le nouveau cours de culture et citoyenneté québécoise. On fait aussi l’impasse sur les cours d’éducation physique et à la santé, ainsi que sur les cours abordant la psychologie de l’enfant d’âge préscolaire et primaire… Et on ne parle même pas de cours de philosophie et de fondements de l’éducation, d’histoire de l’éducation au Québec, etc.

Rappelons que le programme de premier cycle en éducation préscolaire et en enseignement primaire doit former les futures personnes enseignantes dans deux champs distincts, soit le préscolaire et le primaire, qui ont chacun leurs propres visées éducatives et leurs propres programmes d’enseignement. Notons aussi que les personnes enseignantes au préscolaire et au primaire doivent devenir des généralistes, capables d’enseigner toutes les matières visées par les programmes scolaires.

C’est en raison du vaste éventail de matières à enseigner et de la présence, au sein d’une même formation, de deux champs d’enseignement distincts, que les programmes de premier cycle en éducation préscolaire et en enseignement primaire exigent la réussite de 120 crédits universitaires, dont quatre stages dans les milieux scolaires, avant l’obtention du brevet d’enseignement.

Un programme de courte durée comme celui offert par l’université TELUQ est tout à fait pertinent si l’objectif est d’offrir un début de formation à des personnes enseignantes non légalement qualifiées, formation qui devra nécessairement se poursuivre jusqu’au plein développement de toutes les compétences professionnelles en enseignement et l’atteinte des objectifs de formation dans toutes les matières visées par les programmes scolaires.

Malheureusement, les signaux qu’envoie le ministre de l’Éducation du Québec, M. Bernard Drainville, indiquent plutôt que de tels programmes tronqués deviendront sous peu des programmes qualifiants au même titre que des formations universitaires de plus longue durée. On le sait bien, tirer sur les fleurs ne les a jamais fait pousser plus vite ; qu’à cela ne tienne, en diminuant les attentes de formation, on les cueillera plus tôt, c’est tout !

À une certaine époque, au Québec, les institutrices comme Émilie Bordeleau, l’héroïne de la célèbre série télévisée Les filles de Caleb tirée de l’oeuvre d’Arlette Cousture, étaient formées de manière minimale dans les écoles normales, dirigées par des communautés religieuses. Nous devons à la commission Parent la professionnalisation de l’enseignement à compter du milieu des années 1960, dans un but avoué de pousser la formation des personnes enseignantes jusqu’à l’université, au plus grand bénéfice des élèves. Tenons-nous vraiment à revenir à la situation d’avant la Révolution tranquille ?

Malheureusement, trop de gens pensent encore qu’il est inutile de suivre des cours à l’université pendant quatre ans pour enseigner au préscolaire et au primaire. Il suffirait de savoir lire, écrire et compter et d’aimer les enfants pour y parvenir. Mais est-ce vraiment le cas ? N’est-ce pas de cette façon que l’on dévalorise la profession enseignante et qu’on la rend moins attrayante ? En offrant à certaines personnes une formation tronquée, ne créons-nous pas deux classes de personnes enseignantes dans nos écoles ? Et ces programmes de courte durée prépareront-ils bien les futures personnes enseignantes à la réalité et à la complexité des classes actuelles au préscolaire et au primaire ?

Ce sont là des questions importantes, qui appellent à un véritable débat de société autour des visées de l’école et de la qualité de la formation que nous souhaitons offrir à nos jeunes. Des questions certainement trop importantes pour que l’on tente d’y répondre par des solutions à court terme, comme ce que proposent ces nouveaux programmes de formation tronqués lancés dans l’urgence. Nos élèves, ainsi que leurs enseignantes et leurs enseignants, méritent mieux !

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