Une utilisation de ChatGPT en classe

J’enseigne en cinquième secondaire dans une école de Montréal où chaque élève a son ordinateur. Fasciné par l’apparition publique le 30 novembre dernier du robot conversationnel ChatGPT — « Chat » pour « conversation » et « GPT » pour « Generative Pre-trained Transformer » —, et une fois familiarisé avec l’outil, j’ai décidé d’en parler à mes élèves et de l’utiliser en classe. Voici le bref récit enthousiaste de mon audacieuse et mémorable expérience pédagogique.
Au début de mon cours, je réitère d’abord aux élèves que ma classe est un espace sécuritaire, qu’ils peuvent me faire confiance, que ce qu’ils diront au sujet de leur utilisation de ChatGPT n’aura aucune répercussion sur mon attitude envers eux et que personne ne sera « trahi ». J’honore donc ma promesse même en écrivant ce texte, car aucun nom ne sera évidemment dévoilé.
« Qui connaît ChatGPT ? Qui s’en est déjà servi pour ses travaux ? Racontez-moi tout en détail ! » J’avais décidé de commencer fort. Pendant qu’un certain nombre d’élèves se demandent de quoi je parle, je sens que les déjà épris du robot sont décontenancés, ambivalents ; ils n’osent pas divulguer leur secret militaire à l’ennemi ; pour eux, c’est comme si je leur demandais : qui a triché dans ses devoirs ?
Et, lentement, dans ce cours qui promet déjà pour moi d’être épique, à mots feutrés, gênés, hilares même ! les langues se délient ; quelques courageux se dévoilent : « Je l’ai utilisé en Monde contemporain pour rédiger un texte argumentatif, j’ai eu 92 %. » « Moi, en français, pour m’inspirer en vue d’une production écrite autour d’un roman d’Anne Hébert ; j’ai eu 53 %. » « En histoire, pour résumer des événements du XXe siècle, j’ai eu 88 %. » « En anglais, pour une présentation orale, ça m’a donné 80 %. » Puis, l’inévitable : « Je m’en suis servi dans votre cours, M’sieur, vous n’avez rien vu, j’ai eu tout bon… » Tout le groupe s’esclaffe, moi y compris !
J’invite alors une élève à utiliser ChatGPT devant la classe pour expliquer comment bien s’en servir, pour en tester les limites et les forces. Une élève, qui découvre l’existence du diabolique dispositif, déroutée, me demande : « Mais pourquoi vous nous montrez ça ? », signifiant : mais, pourquoi vous nous apprenez à tricher ? Quelle excellente question ; on y reviendra en classe plus tard.
Certains veulent d’abord interroger l’engin comme si c’était le jeu Ouija : « Dieu existe-t-il ? » ou « Comment savoir si une personne nous aime ? » ou « Explique-moi la manière de penser des femmes [oui, oui !] » ou « Comment accéder au bonheur ? » Ensuite, on l’éprouve sur des questions scolaires : « Résume les 75 premières pages de La vie devant soi » ; certains décèlent des erreurs dans la réponse. On jubile. J’en profite alors pour parler de l’importance de l’esprit critique. Une élève sort son cahier de mathématiques et dicte son devoir du jour : « Un cercle a son centre (-5,8) et est tangent à l’axe des ordonnées. Détermine l’équation du cercle. » La classe est en attente, effervescente… La machine prend son temps ; elle répond, tous les élèves s’exclament, renversés : ÇA MARCHE !
Et les questions fusent : est-ce du plagiat ? Va-t-on l’interdire à l’école ? Est-ce qu’on peut lui demander n’importe quoi ? Pourquoi parfois ça répond bien, d’autres fois non ? Est-ce gratuit ? Est-ce la fin de l’école ?
Dans un brouhaha contrôlé, les élèves commentent et se répondent entre eux : « Je vais l’essayer ce soir. » « Attention, ça fait des erreurs, faut donc vérifier le contenu produit par des sources fiables pour pas avoir l’air fou ! » « Il faut quand même paraphraser les réponses pertinentes pour éviter le plagiat comme on le fait déjà pour nos recherches dans les livres ou sur Internet. J’vois ça comme une source supplémentaire. » « Y faut être critique : on doit rester autonomes et créatives dans nos travaux, on pourrait devenir paresseuses et incompétentes si on se fie seulement à ce système. En plus, on pourrait se faire avoir si un prof décide de nous évaluer sans notre ordi, oralement ou avec papier-crayon. » « Si on travaille seulement avec le robot, on n’apprendra pu rien ! » « Non, ça nous permet d’apprendre plus, et plus vite. »
La discussion est enlevée et passionnante. J’adore enseigner.
Depuis, j’ai décidé d’utiliser ChatGPT en classe, et développe de nouvelles façons de travailler et d’évaluer qui tiennent compte de cette nouvelle ressource.
Curieusement, subrepticement, au fil des cours qui passent, on dirait que la magie chatgptienne s’étiole, et, comme ça le ferait pour un jouet, il s’installe comme un désenchantement. Les élèves comprennent que, même avec l’aide de la nouvelle patente, ils doivent faire comme avant : interroger leur prof ou leurs amis, s’assurer de la validité des informations trouvées en ligne, réécrire les textes, apprendre à poser les bonnes questions pour arriver à obtenir les réponses escomptées. Oui, ils doivent encore réfléchir, rester critiques et s’échiner pour développer les compétences et acquérir les connaissances attendues.
Pour l’instant du moins.