Le développement de l’IA doit faire l’objet d’un débat démocratique

« L’IA générative de contenus pose aussi des questions de violation de la propriété intellectuelle et de la vie privée, et constitue un moyen puissant de désinformation et de manipulation d’opinions », notent les auteurs.
Photo: Creative Commons « L’IA générative de contenus pose aussi des questions de violation de la propriété intellectuelle et de la vie privée, et constitue un moyen puissant de désinformation et de manipulation d’opinions », notent les auteurs.

L’intelligence artificielle (IA) est fortement déployée dans nos vies quotidiennes, et des changements sociaux majeurs pointent déjà à l’horizon. Les bénéfices de l’IA en ce qui a trait à la santé et aux prédictions épidémiologiques et météorologiques sont incontestables. Cependant, les problématiques éthiques et sociales que l’IA soulève ne peuvent être ignorées.

De fait, les risques d’opacité, d’erreurs, de biais et de discrimination des systèmes décisionnels automatisés ont été documentés partout dans le monde. Il en est de même pour le potentiel de surveillance des outils, comme la reconnaissance faciale. L’IA générative de contenus — comme ChatGPT d’OpenAI — pose aussi des questions de violation de la propriété intellectuelle et de la vie privée, et constitue un moyen puissant de désinformation et de manipulation d’opinions.

Certaines règles de droit s’appliquent à ces sujets, de sorte qu’il n’y a pas à proprement parler de vide juridique, mais il faut reconnaître la difficulté de faire respecter ces règles et la nécessité de les faire évoluer.

Le projet de loi C-27 modifie le cadre légal de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé fédéral au Canada. La partie 3 de ce projet de loi cherche précisément à enserrer le déploiement de l’IA. Cette dernière partie suscite de vives critiques, qui nous mènent à proposer des suggestions pour améliorer son contenu et faciliter son approbation parlementaire.

Nous croyons fermement que le développement de l’IA devrait faire l’objet d’un débat démocratique. Les débats parlementaires, dans le processus législatif, répondent à ce besoin en permettant l’expression d’arguments et d’opinions variés. Or, le projet de loi C-27 est très incomplet. De nombreuses notions essentielles n’y sont pas définies, telles que les « systèmes d’IA ayant une incidence élevée ». De plus, plusieurs dispositions renvoient à des règlements à venir, ce qui prive les parties intéressées d’occasions de débattre du contenu de la loi.

Toutefois, dans un document complémentaire à la loi, publié le 13 mars 2023, le gouvernement canadien indique que la future Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD) n’est qu’une première étape dans la construction d’un nouveau système d’encadrement juridique de l’IA. L’État envisagerait un processus de consultation d’au moins deux ans avant l’entrée en vigueur de la LIAD et du premier ensemble de règlements, laquelle aurait ainsi lieu vers 2025.

Une telle stratégie fournirait une certitude aux chercheurs et aux innovateurs en IA, tout en conservant une flexibilité dans la réglementation à venir. Ce processus de consultation est compatible avec l’évolutivité de la technologie, mais nous insistons sur l’importance de mener cette consultation avec sérieux. En effet, la littératie de l’IA doit constituer une priorité politique. Il ne faudrait pas réserver la consultation à une poignée de spécialistes, mais plutôt l’ouvrir à l’ensemble de la population, sous forme de séances d’information ou de formation concrètes.

Inclure l’ensemble de la population dans « le grand dialogue national sur l’IA » que nous appelons de nos voeux est essentiel pour lutter contre les discriminations et les exclusions et pour convaincre les concepteurs de l’IA de respecter des exigences techniques dans l’intérêt de la société.

De surcroît, nous soutenons qu’il n’est pas trop tôt pour légiférer. En effet, il n’existe pas de bon moment pour ce faire, s’agissant d’une discipline qui est en perpétuelle évolution et qui, de ce fait, ne fournit jamais de certitudes ou de conditions parfaites d’encadrement. Pourtant, c’est un domaine qui s’implante quotidiennement dans les produits et les services que nous utilisons, sans contrôle du respect des lois ni de l’intérêt commun. Ainsi, le fait de retarder la légifération aurait des conséquences directes potentiellement très négatives sur la population.

De plus, l’adoption d’une loi permettrait d’organiser le marché, de créer de la certitude et de faire émerger les parties prenantes, à commencer par les organismes et services gouvernementaux qui contrôleront les systèmes d’IA. Enfin, le fait d’adopter une loi aujourd’hui n’empêche aucunement des adaptations futures. Il sera nécessaire de mener des études d’impact sur la loi et de faciliter ses conditions de révision pour lui permettre de suivre l’évolution des technologies et du marché. Nous croyons donc que la stratégie visant à prévoir l’adoption d’une loi générale accompagnée de règlements facilement modifiables est tout à fait adéquate.

Du reste, nous sommes d’avis que le gouvernement fédéral ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le partage des compétences législatives en matière d’IA ni d’une coopération avec les gouvernements provinciaux. Certes, la technologie ne s’arrête pas aux frontières des provinces, mais qu’advient-il alors des systèmes d’IA déployés dans des secteurs de compétence provinciale ou essentiellement provinciale tels que la santé ou l’éducation ? Un dialogue doit être lancé dès aujourd’hui en raison de la grande complexité de l’enchevêtrement des compétences fédérales et provinciales et du caractère transversal de ce domaine.

Reporter la réflexion collective en raison de la prétendue complexité du sujet serait le pire scénario. De fait, les entreprises étrangères n’attendent pas, elles, les législateurs pour mettre les outils d’IA sur le marché canadien. Il est grand temps de lancer un débat national sur l’encadrement de ces technologies pour en tirer profit, tout en assurant le développement durable et l’inclusion du plus grand nombre de citoyens et citoyennes dans la discussion.

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