Le plagiat et la rhétorique du déni

Toute personne qui occupe un poste de professeur ou de chercheur devrait savoir ce que signifie plagier. Le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, tout comme les deux autres conseils fédéraux de recherche, définit clairement la notion dans son Cadre de référence sur la conduite responsable en recherche. Plagier consiste en : « l’utilisation des travaux publiés ou non publiés d’une autre personne […] comme si c’était les siens sans faire les mentions appropriées et, le cas échéant, sans permission ».
Les mots-clés sont évidemment : « comme si c’était les siens » et « sans faire les mentions appropriées ». Si on laisse de côté les cas limites où on allègue que deux ou trois phrases banales sont identiques, il faut bien admettre que mettre au jour un plagiat dans un texte n’est pas un exercice très difficile.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Intersections, printemps 2023, volume 6, no 1.
Malheureusement, maints professeurs d’université sont souvent imaginatifs pour tenter de nier ou de contourner des évidences. Il en va de même des gestionnaires universitaires qui sont experts en langue de bois. Ayant siégé à divers comités de discipline, je présenterai quelques arguments souvent entendus dans la bouche des personnes qui cherchent à excuser les plagiaires confirmés.
Différentes classes de défense
On peut distinguer différentes grandes classes de défense.
Une première défense classique du plagiaire et de ses défenseurs consiste à mettre en avant l’éthique autrement irréprochable du plagiaire, qui n’aurait eu aucune volonté de voler le travail d’autrui. On tâchera donc de souligner que son « erreur » a été commise de « bonne foi ». Cette ligne de défense tend cependant à être fragilisée quand est découverte plus d’une instance (parfois des dizaines) où ont été frauduleusement copiés des passages, reproduits sans guillemets.
Une autre défense met en cause, à l’inverse, les intentions « malveillantes » de la personne ayant dénoncé le plagiat. On dira qu’elle est jalouse ou veut régler des comptes pour des raisons diverses. Le sophisme ici consiste à confondre le fait du plagiat et les raisons qui peuvent amener une personne à le dénoncer. Il est pourtant évident sur le plan épistémologique que la véracité d’un fait ne dépend pas des raisons qui mènent à sa découverte.
L’autre grande classe de défense vise à minimiser l’acte incriminé. On dira alors que ce ne sont que quelques lignes dans un ouvrage de centaines de pages. Ou encore on affirmera que les ouvrages plagiés se trouvent en bibliographie, un fait qui ne change rien au plagiat. On peut même penser que les plagiaires stratèges pensent s’en sortir justement en mettant le texte plagié en bibliographie, comme si cela était une « preuve » que le texte n’a pas été plagié.
La dernière grande classe de défense tente de déplacer le blâme. Dans le cas d’un ouvrage à plusieurs auteurs, cela est possible et peut même être véridique. Je me souviens d’un cas ancien où l’un des auteurs d’un ouvrage en partie plagié avoua être seul responsable et disculpa ainsi son coauteur. Si l’auteur est seul, il peut déplacer le blâme vers son éditeur, qui aurait alors fait le « choix éditorial » de ne pas multiplier les guillemets et les appels de note. On pourra même aller jusqu’à tenter de faire croire que, pour faciliter la lecture et la rendre plus agréable et plus accessible, il a été décidé par l’éditeur de limiter l’usage des guillemets.
Plagiaires et « mort sociale »
La consultation des cas de plagiat touchant des professeurs d’université qui se sont retrouvés devant divers tribunaux est intéressante, car les arbitres et les juges insistent souvent pour rappeler que « le plagiat ne saurait être toléré de la part d’un enseignant. L’on ne saurait en effet tolérer que les titulaires de cette fonction s’adonnent eux-mêmes à des abus de cette nature ou à d’autres qui sont interdits aux étudiants » (https://canlii.ca/t/gkf4x). Les arbitres et les juges rappellent qu’il y va du respect que le plus large public doit avoir pour l’institution universitaire.
En effet, le monde universitaire fonctionne avant tout à l’accumulation de capital symbolique. Or, la spécificité du capital symbolique est qu’il est fondé sur la crédibilité. Le fait que le capital symbolique soit difficile et long à acquérir, mais très facile à perdre, explique d’ailleurs en bonne partie l’énergie rhétorique de négation et de diversion que les plagiaires sont généralement prêts à dépenser pour tenter de sauver la face.
Si leur réputation scientifique semble entachée à jamais, il leur reste toujours la possibilité de migrer vers un autre champ social, dont les normes sont différentes. Car dans le monde universitaire, il est bien connu que la perte de confiance, de crédibilité et donc de capital symbolique constitue le plus souvent une mort sociale, même lorsque la personne ne perd pas son emploi.
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