Les inégalités de scolarisation demeurent criantes au Québec

« Une proportion encore trop importante de jeunes peinent à réussir », rapporte l’auteur.
Photo: Frederick Florin Agence France-Press « Une proportion encore trop importante de jeunes peinent à réussir », rapporte l’auteur.

En matière d’éducation, le Québec est à la croisée des chemins. Alors qu’il fait face à une crise à de multiples visages (pénurie de personnel, vétusté des écoles, qualité de la langue française, services aux élèves en difficulté, etc.), un nombre croissant d’enseignants quittent la profession ou envisagent de le faire après seulement quelques années. Des groupements de citoyens expriment leurs inquiétudes, et ce, depuis un certain temps déjà.

Des initiatives de parents désemparés ont d’ailleurs vu le jour en regroupant les forces vives du milieu. Un essaimage est en cours. De mars à juin, une vingtaine de forums sont organisés pour mieux structurer la réflexion sur la crise actuelle. Cette initiative contribuera sans doute à exposer de manière ordonnée et démocratique les attentes de la population et de certaines élites.

Dans ce contexte, d’une part, il convient de prendre un peu de distance (une quinzaine d’années) pour rappeler dans quel contexte la société civile s’est immiscée dans la scolarisation des jeunes. D’autre part, il importe de comprendre que les inégalités de scolarisation demeurent criantes au Québec. Mieux décrypter certains enjeux territoriaux doit permettre de soutenir les plans d’action tant nationaux, régionaux que locaux.

Un mouvement collectif

Sous l’impulsion du Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaires et de son rapport Savoir pour pouvoir (mars 2009), une mobilisation de la société civile a progressivement vu le jour au Québec. Inspirée par les propositions du rapport, la stratégie gouvernementale « L’école, j’y tiens » fut lancée en septembre 2009 par la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). S’appuyant sur treize lignes d’action, la stratégie incitait tous les acteurs à se mobiliser afin de créer les conditions favorables pour atteindre la cible de 80 % de diplômés chez les moins de vingt ans avant 2020.

Dans la foulée, la Fondation Chagnon lançait en 2009 le généreux programme de financement Réunir Réussir dans le cadre d’un partenariat public-privé. Pour consolider l’une des orientations de la stratégie gouvernementale, soit la nécessité de l’action régionale et locale, on a assisté alors au déploiement progressif d’Instances régionales de concertation (IRC) sur la persévérance scolaire et la réussite éducative.

Au carrefour des acteurs qui contribuent à la réussite des élèves, ces organismes poursuivent actuellement sans répit les efforts de mobilisation dans chacune des régions. On leur doit notamment la tenue annuelle des Journées de la persévérance scolaire. Le partenariat entre les IRC et les commissions scolaires (devenues depuis les centres de services scolaires) s’est consolidé. L’atteinte de la cible proposée en 2009 (80 %) a contribué à susciter une nouvelle politique ministérielle sur la Réussite éducative adoptée en 2017. Elle confirmait l’importance de poursuivre la lutte contre les inégalités en proposant des cibles encore plus ambitieuses quant aux taux de diplomation.

Évolution de la diplomation

Selon les statistiques officielles publiées en 2022, le taux de diplomation et de qualification après sept ans au secondaire au Québec, sexes réunis, est passé de 70,4 % pour la cohorte de 1998 (diplômes obtenus jusqu’en 2005) à 82,1 % pour la cohorte de 2014, (diplômes obtenus jusqu’en 2021), soit un gain de près de 12 points de pourcentage.

On peut donc se réjouir d’avoir dépassé la cible adoptée en 2009 dans un laps de temps relativement court. Cependant, il faut y regarder de plus près. Pour la cohorte de 2014 (diplômes obtenus jusqu’en 2021), le taux de diplomation après sept ans est de 79,0 % au secteur public contre 93,5 % au secteur privé. L’autre raison de se réjouir, plus timidement selon moi, concerne le rétrécissement de l’écart entre les garçons et les filles. Il est passé de 14,9 points de pourcentage à 9,2 points de pourcentage quinze ans plus tard. Le taux de diplomation était donc de 77,6 % chez les garçons comparativement à 86,8 % chez les filles pour la dernière cohorte connue.

On peut légitimement penser que les initiatives conjuguées des acteurs locaux, régionaux et nationaux, notamment les efforts des milieux scolaires et communautaires, ont permis de réaliser des gains significatifs dans bon nombre de milieux. Mais les améliorations ont sans doute été enregistrées principalement parmi des groupes de jeunes plus faciles à soutenir.

Ainsi, au cours des années à venir, davantage d’efforts doivent être consentis auprès des élèves les plus à risque d’abandon. Bien que les connaissances sur les facteurs associés à la persévérance scolaire progressent au Québec, il reste cependant beaucoup à approfondir concernant les réalités vécues par les jeunes, tenant compte des différences entre les garçons et les filles.

L’état des lieux en région

Plusieurs études, au Québec et ailleurs, montrent clairement que la distribution spatiale de la diplomation des jeunes s’avère très contrastée selon le territoire. Grâce au site CartoJeunes lancé au cégep de Jonquière, on dispose de nombreux indicateurs sur les parcours scolaires aux échelles nationale, régionale et locale pour plusieurs périodes.

Des gains notables sont observés dans plusieurs régions. Citons par exemple les régions de Montréal, des Laurentides et de Laval. La situation est généralement stable et favorable depuis plusieurs années dans quatre régions : Saguenay–Lac-Saint-Jean, Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches, Bas-Saint-Laurent. Plus récemment, le taux de diplomation s’est amélioré dans les régions Centre-du-Québec et Mauricie.

Le bilan demeure toutefois préoccupant dans plusieurs régions aux extrémités nord, est et sud-ouest de la province, avec une concentration importante de municipalités régionales de comté (MRC) et de localités en difficulté. On en trouve plusieurs en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord, en Outaouais, dans les Laurentides, dans Lanaudière et en Mauricie. Le cas de la région Nord-du-Québec doit être considéré à part. La scolarisation y demeure très difficile alors que les défis varient considérablement d’une communauté à l’autre.

Au-delà des écarts observables à l’échelle des régions administratives, on dispose de données permettant des analyses encore plus fines. À Montréal par exemple, bien que la situation se soit beaucoup améliorée depuis une dizaine d’années, des disparités demeurent très prégnantes à l’échelle des municipalités et des arrondissements. On peut retenir que le boulevard Décarie trace une ligne plutôt troublante entre deux mondes, les taux de diplomation étant généralement bien meilleurs à l’ouest.

De telles disparités doivent être considérées dès que l’on soulève la problématique de l’école à trois vitesses ! Comment expliquer la récurrence des inégalités territoriales observées ? On voit bien que des fractures territoriales se superposent aux facteurs sociaux et culturels déjà connus.

Si les politiques publiques en éducation doivent plus que jamais viser l’égalité des chances, il faudra qu’elles s’ajustent davantage aux fractures territoriales, aux inégalités sociales et aux réalités culturelles. Au Québec, si un tel impératif s’impose, nous avons les compétences pour faire face à de tels enjeux. L’État ne peut plus se contenter de rapiécer le système d’éducation en laissant croître l’insatisfaction tant dans le milieu de l’enseignement que dans la société civile.

Tout n’est cependant pas négatif. Sachons reconnaître que les élèves fréquentant nos écoles bénéficient généralement d’enseignants qualifiés qui les forment, et de parents attentionnés qui les soutiennent. D’ailleurs, les taux de diplomation et les grands indicateurs nationaux se sont améliorés au cours de la dernière décennie. Selon les grandes études internationales, comme l’enquête PISA, on sait qu’une majorité des élèves québécois réussissent plutôt bien. Par contre, une proportion encore trop importante de jeunes peinent à réussir, souffrent, se sentent laissés-pour-compte, adoptent des parcours atypiques, abandonnent.

Les forums régionaux Parlons éducation constituent une belle occasion pour l’expression démocratique des idées et des attentes en matière d’éducation. Cependant, il faudra aller plus loin avec courage et rigueur. On peut espérer que l’État se fera le porteur du flambeau. Si le Québec est sorti de la grande noirceur en bonne partie grâce à l’éducation et au rapport de la commission Parent, il a besoin d’une électrification à la hauteur de ses ambitions.

À voir en vidéo