Main-d’oeuvre et logement, la double pénurie qui freine le Québec

Une pénurie de main-d’oeuvre associée à une pénurie de logements ; voilà qui restreint énormément la capacité de pourvoir les nombreux postes disponibles au Québec. Si des solutions ne sont pas rapidement mises en chantier, au sens propre comme figuré, la problématique du logement freinera davantage le développement des entreprises de La Belle Province.
La pénurie de logements engendre des augmentations de loyers faramineuses. Selon l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec, environ 100 000 logements neufs sont nécessaires, mais en raison des coûts, le secteur de la construction risque de réduire ses mises en chantier de logements locatifs de 32 % cette année. Ce n’est rien pour améliorer le taux d’inoccupation de 1,7 %, soit près de la moitié du taux permettant l’équilibre entre l’offre et la demande.
Cette crise du logement a des répercussions importantes sur les efforts déployés par les entreprises québécoises, de tous les secteurs d’activité, pour recruter à l’étranger afin de pourvoir leurs nombreux postes vacants. En effet, si les talents étrangers qualifiés ne peuvent trouver de logements dans la grande région de Montréal, où la moitié de la population québécoise réside, il faut alors choisir l’éloignement. Et qui dit éloignement dit aussi intégration plus difficile dans son pays d’adoption. Pour une personne de nature citadine, la banlieue éloignée n’est pas le style de vie souhaité.
Bien entendu et de plus en plus, le télétravail fait en sorte que la distance n’est plus un problème en soi pour travailler. Cependant, plus on s’éloigne des grands centres urbains, plus on s’éloigne de l’aspect multiculturel. Pour une personne immigrée, peu importe sa provenance, il sera toujours plus facile de s’intégrer rapidement avec des associations professionnelles ou culturelles déjà implantées localement, où des membres peuvent partager leurs expériences pratiques et expliquer le fonctionnement de certains services de la vie quotidienne.
Les retraits en hausse
Si les expatriés ne sont pas heureux dans le secteur ou la région où ils vivent, que les distances à parcourir pour leurs activités professionnelles et personnelles ne leur conviennent pas et que l’intégration se fait difficilement en raison d’un manque de repères, tout cela peut engendrer des départs prématurés. Notre société perd alors une main-d’oeuvre qualifiée, tandis que l’employeur doit tenter de pourvoir les mêmes postes à nouveau.
L’autre aspect devant être considéré dans ce contexte interrelié de pénuries de main-d’oeuvre et de logements, c’est qu’il faut regarder au-delà des compétences intéressantes du nouvel arrivant : il faut aussi penser à sa famille. Cette réalité complexifie davantage la question de l’accès abordable au logement pour la main-d’oeuvre nouvellement arrivée. Les familles cherchent des appartements convenables comptant plusieurs chambres, ce qui devient de plus en plus rare dans le contexte actuel. Et si l’emploi est en télétravail, il faut aussi penser à un espace pour le bureau à domicile.
Il y a quelques années, le Québec était très attrayant pour les chercheurs d’emplois européens. Par exemple, en France, les médias faisaient souvent état des efforts de recrutement investis par le gouvernement et les entreprises du Québec ; pensons plus particulièrement au secteur des soins de la santé et des nouvelles technologies. Montréal était souvent la destination privilégiée, mais les villes de Québec, Sherbrooke et Gatineau faisaient également partie des lieux d’intérêt.
Cependant, de nos jours et exactement comme la crise de la main-d’oeuvre, la crise du logement existe partout dans la province. De plus, les immigrants potentiels s’informent. Ils consultent les médias d’ici, lisent des articles et visionnent des reportages sur la pénurie du logement et le coût explosé des loyers. Ceux qui ont des enfants constatent également la pénurie d’écoles secondaires et celle d’enseignants.
Tout cela crée des réticences et des sujets de discussion qui reviennent souvent. Au sein de notre entreprise spécialisée en mobilité professionnelle, Anywr Canada, nous enregistrons une hausse non négligeable des retraits. Chaque fois, nous perdons de bons candidats déjà rencontrés et sélectionnés.
Quant aux nouveaux talents ayant décidé de s’installer au Québec, la question du logement demeure un point préoccupant. L’immense majorité des gens sont déçus non par la qualité, mais par l’endroit où ils doivent se loger, car il ne correspond pas à leurs espoirs. Le choix très limité crée beaucoup de frustration chez les nouveaux arrivants.
Briser le cercle vicieux
Je partage avec vous une réalité vécue chez Anywr : les gens que nous tentons de recruter à l’étranger pour notre propre entreprise — nous aussi en raison de la pénurie de main-d’oeuvre — réagissent exactement comme ceux que nous recrutons pour nos clients. Et c’est encore plus difficile pour les très nombreuses PME du Québec, qui n’ont pas les moyens de payer de plus gros salaires en espérant convaincre des talents de s’installer ici.
Force est de constater que nous devons jongler avec de multiples facteurs afin d’attirer la nouvelle main-d’oeuvre, des facteurs interagissant tous entre eux et impactant globalement la capacité du Québec à attirer les talents dont elle a besoin.
Je ne prétends pas connaître toutes les solutions ; il s’agit d’une situation très vaste et complexe qui agit pratiquement comme un cercle vicieux où chaque élément problématique influence un autre élément problématique. Je cherche seulement à décrire notre perspective à titre de recruteurs de talents expérimentés.
Je souhaite que les parties prenantes gouvernementales et privées directement concernées, y compris les agences de recrutement et de mobilité professionnelle telles que la nôtre, se réunissent pour forger des solutions. Un ensemble de plans d’action, de politiques et d’investissements concertés seront nécessaires pour stabiliser la situation et relancer le développement économique du Québec à pleine vapeur.
Ainsi, nous serons tous logés à la bonne adresse.