La mise à mort de la littérature

Mesdames Boivin, Chabot et Debeurme, puisqu’il me semble que vous n’avez pas eu l’heur de consulter adéquatement des professeurs de littérature du réseau collégial pour élaborer votre rapport La maîtrise du français au collégial : le temps d’agir, révélé au public le 10 mars dernier par le ministère de l’Enseignement supérieur, je me suis naïvement dit qu’une lettre publique rédigée à votre intention par un simple professeur de cégep vous permettrait peut-être de lire ce qu’à mon humble avis vous avez tout fait pour refuser d’entendre.
Dans votre objectif louable de trouver des solutions afin d’améliorer la compétence langagière à l’écrit des étudiants du collégial, vous mettez à mort la raison d’être des cours de français, langue d’enseignement et littérature, lesquels font partie inhérente de la formation générale, nécessaire à l’obtention du diplôme d’études collégiales.
Je doute sérieusement de la pertinence de mettre essentiellement l’accent sur l’apprentissage du code linguistique dans les cours de littérature au collégial. Ce qui m’étonne davantage de votre part est le fait que vous ne défendez aucunement l’apport nécessaire de la littérature pour y parvenir : cela m’apparaît comme une aberration qu’il m’est impossible de passer sous silence à l’heure actuelle.
En ces temps troubles où la place de la lecture chez les jeunes est plus que jamais menacée, il appert que certaines des recommandations que vous soumettez au ministère constituent ni plus ni moins une lettre de démission à l’endroit du projet éducatif que notre société s’est donnée depuis le rapport Parent. Plutôt que de vouloir redonner aux cours de français du collégial leurs lettres de noblesse, j’en conclus que vous mettez un point d’honneur à leur conférer un rôle purement utilitariste, précisément par la mise en avant de la maîtrise du code linguistique dans nos cours.
Or, qu’en est-il de l’éveil à la culture, à l’art, à l’identité, bref, aux divers questionnements essentiels que peut susciter la lecture d’œuvres littéraires ? Qu’en est-il de la rencontre nécessaire avec les personnages de Molière, qui nous ressemblent tant, avec les mots d’Anaïs Barbeau-Lavalette, qui nous font vivre une réalité autrement inatteignable ? L’expérience littéraire, rappelons-le, est d’abord une incursion inédite et exaltante dans les méandres du langage. Si, pour les étudiants du collégial, les textes littéraires peuvent parfois constituer une tâche exigeante, elle est tout à fait souhaitable !
De Maupassant à Voltaire, en passant par Nelly Arcan, les œuvres littéraires sont des cathédrales faites de mots, de phrases et de chapitres ; nous, les profs de littérature, sommes les humbles guides de ces lieux vertigineux que les élèves découvrent parfois pour la première fois. Vous, en revanche, ne nous proposez que de revenir incessamment sur ce que mes valeureux collègues du primaire et du secondaire leur ont déjà enseigné avec toute la patience du monde, de la maternelle à la cinquième secondaire.
En somme, par votre obsession étroite et exacerbée de la « réussite », vous annihilez la réelle ambition éducative que nous voulons pour notre réseau collégial. À cet égard, je comprends l’appel tout récemment lancé par la Fédération étudiante collégiale du Québec à l’idée de « dépoussiérer » la formation générale ; par contre, je ne saurais me résoudre, à l’instar de vos recommandations, mesdames, à l’enterrer vivante. La littérature doit fièrement demeurer le cœur et l’âme des cours de français au collégial.