Je suis médecin de famille, et oui, le nouveau système fonctionne

« Les services proposés peuvent inclure des soins de santé préventifs, le diagnostic et le traitement de problèmes de santé mentale, des soins de santé urgents et la gestion de maladies chroniques », précise l’auteur.
Photo: Fred Scheiber Agence France-Presse « Les services proposés peuvent inclure des soins de santé préventifs, le diagnostic et le traitement de problèmes de santé mentale, des soins de santé urgents et la gestion de maladies chroniques », précise l’auteur.

Un célèbre slogan de campagne attribué au président américain Herbert Hoover en 1928 promettait « Un poulet dans chaque marmite, une voiture dans chaque garage ». C’était une promesse qu’aucun gouvernement ne pouvait tenir.

Récemment, le premier ministre du Québec, François Legault, et son ministre de la Santé, Christian Dubé, se sont détournés d’une autre promesse irréalisable : un médecin de famille pour chaque citoyen. Nous apprenons aujourd’hui que la province de l’Ontario s’oriente également vers un objectif plus réaliste, à savoir celui de fournir des soins de médecine familiale en finançant davantage de cliniques de quartier comme la nôtre.

Alors que les négociations se poursuivent entre le fédéral et les provinces, il est clair que le défi auquel font face les patients, la classe politique et les prestataires de soins est immense et complexe.

Selon un article publié l’année dernière dans le Journal de l’Association médicale canadienne, « les soins de première ligne au Canada traversent une crise ; 4,6 millions de personnes n’étaient pas inscrites auprès d’un médecin de famille ou d’un clinicien de première ligne avant la pandémie de COVID-19 et la situation s’aggrave ».

Il suffit de parler aux membres de votre famille, à vos collègues, à vos amis et à vos voisins, dont beaucoup n’ont pas de médecin de famille et qui ne peuvent pas accéder à des soins en dehors des cliniques sans rendez-vous et des services d’urgence des hôpitaux.

La force du nombre

En tant que médecin de famille ayant 35 ans d’expérience, j’ai constaté à quel point la situation était devenue désespérée et j’ai voulu essayer quelque chose de nouveau. Notre première clinique de médecine familiale a ouvert ses portes dans le centre-ville de Montréal il y a près de 15 ans, desservant les habitants du quartier Notre-Dame-de-Grâce. Depuis, elle s’est développée et, en 2015, nous sommes devenus une clinique GMF financée (pour Groupe de médecine de famille).

L’année dernière, après des négociations avec le gouvernement du Québec et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, mes collègues de la clinique MDCM-GMF ont présenté à nos propres médecins de famille la nouvelle proposition de la province en matière d’accès aux soins.

Plus de la moitié de nos médecins de famille ont accepté d’assumer la responsabilité supplémentaire de fournir des soins de première ligne à 5500 patients de plus inscrits à la liste d’attente des médecins de famille du gouvernement du Québec pour le quartier environnant.

La proposition a été rendue possible grâce à un changement de politique inédit : par le passé, Québec n’autorisait l’inscription de patients individuels qu’auprès de médecins de famille individuels. Le nouveau programme permet à des groupes de patients d’être inscrits auprès d’un groupe de médecins de famille désireux d’offrir des rendez-vous de soins réservés.

Jusqu’à présent, cette approche d’inscriptions groupées fonctionne : à ce jour, plus de 500 000 Québécois ont pu s’inscrire à des cliniques comme la nôtre.

Comment cela fonctionne-t-il ? Le gouvernement détermine les personnes ayant les besoins de santé les plus urgents et leur envoie une lettre indiquant le nom et l’emplacement d’une clinique de quartier, les informant qu’elles y sont inscrites pour recevoir des soins.

La personne appelle alors un numéro de téléphone central, est triée puis est dirigée vers l’une des quelque 100 places réservées disponibles chaque semaine dans notre clinique. Les informations relatives à sa santé sont saisies dans un système de dossiers électroniques, ce qui garantit la sécurité, la confidentialité et la continuité des soins.

Les patients de la clinique ont également accès à des médecins spécialistes sur place ainsi qu’à des infirmières praticiennes, des infirmières cliniciennes, des travailleurs sociaux, des pharmaciens, etc. Les services proposés peuvent inclure des soins de santé préventifs, le diagnostic et le traitement de problèmes de santé mentale, des soins de santé urgents et la gestion de maladies chroniques.

Aujourd’hui, plus de 30 médecins de famille s’occupent de plus de 35 000 patients inscrits à notre clinique. L’âge de nos patients va du nouveau-né au centenaire. La clinique MDCM-GMF est ouverte sept jours sur sept, 52 semaines par an, 12 heures par jour en semaine et 4 heures par jour les week-ends et les jours fériés.

Après avoir eu recours aux cliniques sans rendez-vous ou aux services d’urgence des hôpitaux pendant des mois et des années, nos nouveaux patients sont ravis des soins que nous leur prodiguons. Ils disent : « Maintenant que je suis inscrit à votre clinique [GMF], je demande à tout le monde : “Qui a besoin d’un médecin de famille ? C’est mieux à bien des égards.” »

Les patients ont également remarqué qu’une visite à notre clinique se distingue d’une visite à une clinique de consultation sans rendez-vous, où les rendez-vous sont plus courts et se concentrent généralement sur les problèmes de soins urgents, avec peu d’attention accordée aux soins préventifs, à la santé mentale ou à la gestion des maladies chroniques.

Lorsqu’un de nos médecins prend sa retraite, décède ou quitte le système, un patient inscrit peut continuer à recevoir des soins à la Clinique MDCM-GMF.

Des médecins mobilisés

Voilà pour le côté patient de cette solution potentielle. Mais qu’en est-il des médecins de famille ? Pourquoi quittent-ils massivement leur cabinet ou n’ouvrent-ils tout simplement pas de cabinet de médecine familiale traditionnelle ? Seulement au Québec, il y a actuellement près d’un million de personnes qui attendent d’être jumelées à un médecin de famille.

Pourquoi cette pénurie ? D’abord, les diplômés des écoles de médecine sont moins nombreux à choisir comme spécialité la médecine familiale. Ils ont été témoins des attentes croissantes placées sur les cabinets de médecine familiale dépourvus de ressources adéquates et de l’épuisement professionnel des médecins qui en résulte, et ne souhaitent pas mener ce type de carrière.

Enfin, certains médecins choisissent de se retirer de la pratique de la médecine familiale plus tôt que prévu, en partie à cause de l’épuisement dû à la pandémie de COVID-19. En moins d’un an, les signes sont encourageants. Plusieurs des médecins de famille diplômés que nous avons approchés pour qu’ils rejoignent notre clinique se sont montrés enthousiastes à l’idée de se joindre à nous.

Nous avons également recruté certains médecins de famille qui travaillent actuellement dans des hôpitaux, des salles d’urgence, des centres de soins de longue durée ou des instituts de réadaptation pour gagner leur vie. Ils sont attirés par ce nouveau modèle des GMF parce qu’ils ont la possibilité de ne pas avoir à inscrire à long terme les patients qu’ils voient.

Les jeunes médecins qui nous ont rejoints peuvent se consulter entre eux et ils peuvent facilement s’entretenir avec des consultants et des collègues plus expérimentés. Ce n’est généralement pas le cas dans une clinique sans rendez-vous.

Nous sommes convaincus que le modèle des GMF (avec inscription groupée des patients), qui fonctionne si bien après une période relativement courte, pourrait continuer à être appliqué de façon efficace et concluante dans l’ensemble du Québec et dans d’autres provinces.

Je tiens à souligner que ce modèle fonctionne dans le cadre du système unique d’assurance maladie du Canada. Les soins dispensés dans notre clinique n’entraînent aucuns frais supplémentaires pour les patients.

Nous sommes déterminés à faire pression pour obtenir un financement continu de la part des gouvernements provincial et fédéral, afin de pouvoir continuer à accueillir de nouveaux médecins de famille et davantage de patients au sein de notre GMF de quartier.

On nous a signalé qu’en 2024-2025, le gouvernement du Québec pourrait introduire d’autres changements affectant le modèle des GMF. Nous espérons que les élus ont remarqué nos progrès et qu’ils se rapprocheront de ce modèle de clinique de quartier plutôt que d’étendre le financement aux consultations sans rendez-vous.

Les patients, les familles, les médecins et les autres acteurs du système de soins de santé ont réclamé du changement, de la vigueur et de l’innovation pour résoudre les énormes problèmes auxquels nous sommes confrontés. C’est ce que nous faisons, et cela fonctionne. Je dois espérer que nos partenaires au gouvernement continueront à privilégier ce qui fonctionne et à limiter ce qui ne fonctionne pas.

À voir en vidéo