En finir avec l’approche sécuritaire en santé mentale

Le drame qui s’est déroulé à Amqui la semaine dernière a donné lieu à des réactions pour le moins surprenantes. Affirmant « qu’il ne faut pas que la folie triomphe sur l’espoir », le premier ministre a invité les Québécois et Québécoises à surveiller et à dénoncer leurs proches « qui montrent des signes inquiétants ».
Le ministre de la Sécurité publique a évoqué, avant de se raviser, la possibilité de révoquer les permis de conduire de personnes ayant reçu certains diagnostics psychiatriques. Il a néanmoins répété sur plusieurs tribunes que la santé mentale est un problème de sécurité publique, s’appuyant notamment sur le nombre d’appels liés à la santé mentale reçus par le Service de police de la Ville de Montréal. Or l’accusé du drame d’Amqui n’est ni connu pour des problèmes quelconques de santé mentale ni n’a demandé d’évaluation de sa capacité à subir son procès ou de sa responsabilité criminelle.
Le rapprochement entre santé mentale et sécurité publique, qui est de plus en plus courant, ne trouve aucun fondement dans la recherche scientifique. Au contraire, les recherches démontrent que les personnes atteintes de troubles mentaux sont plus souvent victimes de violence qu’autrices de violence. Les histoires comme celles racontées par Enquête la semaine dernière sont exceptionnelles. Elles servent cependant de prétexte pour plus de contrôle et de coercition.
On entend trop souvent, notamment de la part de psychiatres, qu’il est compliqué de traiter quelqu’un contre son gré au Québec. Dans le reportage d’Enquête, il est expliqué que, depuis les années 1960, « on a donné plus de droits aux patients qui souffrent de troubles mentaux », mais également « la responsabilité d’aller chercher des soins eux-mêmes », ce qui « pose problème quand la personne ne reconnaît pas qu’elle est malade, à moins qu’elle représente un danger pour elle-même ou pour autrui ». Cette affirmation est tout simplement fausse.
Le consentement au soin et son corollaire, le refus de soins, sont des droits fondamentaux. Il est cependant possible pour un médecin d’obtenir l’autorisation du tribunal d’imposer un traitement à une personne qui est inapte à consentir à ses soins, malgré son refus, si ces soins sont requis par son état de santé. Le fait d’être dans le déni par rapport à sa maladie est un des critères utilisés pour évaluer la capacité à consentir aux soins. Il n’est donc pas nécessaire, mais surtout pas pertinent, que la personne présente un danger pour elle-même ou pour autrui pour qu’on lui impose un traitement. Le danger pour soi ou autrui est le critère permettant l’hospitalisation sans consentement (la garde en établissement), et non le traitement.
Ces déclarations sont inquiétantes à plusieurs niveaux. Elles constituent une désinformation du public qui contribue directement à alimenter la peur et les préjugés. Elles démontrent également la méconnaissance que certains psychiatres ont des mécanismes juridiques exceptionnels qu’ils et elles utilisent pourtant de plus en plus régulièrement et qui constituent d’importantes atteintes aux droits fondamentaux.
En effet, le nombre de demandes présentées aux tribunaux par les hôpitaux pour forcer des hospitalisations et des traitements a augmenté respectivement de 29 % et de 45 % entre 2015 et 2020, s’établissant à 7030 demandes d’hospitalisation forcée et à 3244 demandes de soins forcés. Ces demandes sont acceptées dans plus de 95 % des cas.
Cette utilisation de plus en plus courante des tribunaux civils pour contraindre des personnes à des hospitalisations et des traitements en psychiatrie en dit davantage sur l’état de nos services publics que sur des problèmes quelconques de sécurité publique. Depuis vingt ans, suivant une tendance néolibérale internationale, le gouvernement québécois a systématiquement sabré les services publics, notamment le soutien aux personnes et aux familles.
Les dépenses en santé se sont maintenues, mais une partie importante est drainée par les augmentations salariales titanesques consenties aux médecins durant les années du gouvernement Couillard. Durant la même période, alors que le taux de criminalité baissait, les budgets liés à la sécurité publique ont connu des augmentations dépassant largement l’inflation, notamment pour les services policiers, dont les budgets ont augmenté de 10 %.
Il n’est ainsi pas surprenant, dans un contexte où les services sociaux et de santé sont moribonds, que les policiers soient vus comme les « premiers répondants » en santé mentale. Il est également facile de comprendre comment, avec des policiers gérant les problèmes de santé mentale sans aucune compétence, le narratif sur la sécurité publique et la « crise de la santé mentale » se construit. Or ce sont nos services sociaux et de santé qui sont en crise et qui doivent être massivement refinancés pour enfin se libérer de l’approche sécuritaire en santé mentale.
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