Un rempart contre la privatisation et les iniquités en santé

L’imagerie à deux vitesses est devenue la norme au Québec, écrit l’auteur.
Photo: iStock L’imagerie à deux vitesses est devenue la norme au Québec, écrit l’auteur.

Il y a quelques jours, nous apprenions qu’Ottawa réduira une partie des transferts en santé aux provinces et territoires qui permettent un système parallèle public-privé. Soyons clairs : nous reconnaissons les besoins criants de notre réseau, et une diminution de son financement n’est pas une bonne nouvelle. Néanmoins, nous partageons le constat : faire payer les patients pour des services essentiels contrevient à la Loi canadienne sur la santé (LCS), et celle-ci doit demeurer le phare et le garde-fou des orientations politiques en santé.

Entrée en vigueur en 1984, la LCS est garante du principe d’équité dans l’accès aux soins de santé à travers le pays. Pour être admissibles aux transferts en santé, les provinces et territoires doivent respecter ses grands principes. Ceux-ci rappellent que nous sommes tous égaux devant la maladie, et que chacun devrait avoir accès aux soins nécessaires, dans des délais raisonnables, sans égard à son statut socio-économique ou à sa situation géographique.

Le Québec, sous des gouvernements tant souverainistes que fédéralistes, s’est bâti sur des principes d’équité et de justice sociale semblables à ceux défendus dans la LCS. Nous avons été — et sommes toujours — une nation fière et riche de son filet social fort. La protection du système de santé public ne doit pas être instrumentalisée au nom de l’autonomie provinciale.

La coupe annoncée vise les services d’imagerie diagnostique. Conséquence de la désassurance de certains types d’imageries en contexte extrahospitalier, et de l’autorisation de mixité de pratique privée-publique pour les radiologistes, l’imagerie à deux vitesses est devenue la norme au Québec. Médecins québécois pour le régime public (MQRP) a démontré par le passé que le Québec avait les listes d’attente les plus longues pour les IRM au public, tout en ayant le plus de ressources matérielles, indiquant que le système à deux vitesses coûte plus cher et, surtout, qu’il affaiblit le public, contrairement à ce que prétendent les partisans de l’industrie privée.

C’est le risque qui nous guette pour d’autres services médicaux, si un changement de cap n’est pas rapidement opéré dans la direction privatisante dans laquelle les récents gouvernements se sont engagés. Le ministère fédéral avertit par ailleurs que d’autres coupes pourraient suivre, par exemple si le Québec ne fait pas marche arrière en ce qui a trait à la télémédecine privée. En effet, profitant d’un récent décret de la Coalition avenir Québec (CAQ) modifiant la Loi sur l’assurance maladie — décret adopté en catimini et sans débat public —, l’industrie privée de soins virtuels se taille rapidement une place très lucrative au Québec.

Voici un exemple de situation avalisée par les politiques provinciales et face à laquelle le fédéral voudrait sévir. Une personne ayant une douleur au genou paie de sa poche une consultation dans un service de télémédecine privée auquel elle accède le jour même ; le médecin lui prescrit une IRM (imagerie par résonance magnétique) qu’elle fera dans une clinique de radiologie privée, remboursée par son assurance collective privée, qu’elle paie à grands frais par l’entremise de son employeur. Le tout est bouclé en moins d’une semaine, et les soins publics qu’elle pourrait ensuite nécessiter seront ainsi accélérés. Disons qu’elle a de la chance ; néanmoins, elle aura payé en double, puisqu’elle finance déjà ses soins par ses impôts.

Une seconde, ne disposant pas des mêmes privilèges, présente des symptômes inquiétants pour un cancer. Les délais pour consulter en première ligne sont longs, ceux pour obtenir ensuite un scan à l’hôpital davantage, malgré la priorité qu’elle s’est vu attribuer. Ces mois de délais retardent sa prise en charge et les soins possibles contre le cancer qui lui sera diagnostiqué. Elle attend son tour, toujours plus longtemps, à la porte d’un réseau dont les capacités s’amenuisent, puisque ses employés désertent, en tout ou en partie, pour le privé.

Cette dualité choquante, les médecins en première ligne en sont témoins tous les jours. MQRP soutient qu’il est du ressort des gouvernements de s’assurer que tous les citoyens sont soignés par un système qui les traite de façon équitable, et en temps opportun. Le gouvernement de la CAQ s’évertue, sans preuves tangibles ni données probantes, à poser l’entreprise privée comme solution innovante et nécessaire en santé.

Celle-ci a pourtant prouvé ses limites, ici et ailleurs : siphonnage du personnel du réseau public, empêchant celui-ci de fonctionner ; surcoûts engendrés à l’État et à la population pour financer des marges de profit parfois indécentes ; inadéquation entre les besoins globaux de la population et les décisions d’affaires du privé ; perte de la participation citoyenne et démocratique… Pour ces raisons, la privatisation est plutôt l’une des causes du dysfonctionnement du système de santé public et universel, mettant désormais sérieusement en péril la mission de celui-ci au Québec.

Les profondes iniquités traversant le système à deux vitesses aux États-Unis nous en offrent un exemple concret. Il est nécessaire de rehausser le financement public de notre réseau, et nous appelons le gouvernement fédéral à en tenir compte, tout en demeurant ferme quant au respect de la LCS. Nous invitons le gouvernement québécois à réaliser sans attendre les changements nécessaires pour préserver la mission universelle et les principes d’équité de notre système de santé.

Dans les deux prochaines années, la somme retranchée au transfert fédéral pourrait être restituée aux Québécois, qui l’ont payée par leurs impôts : pour cela, le gouvernement du Québec doit cesser de permettre que ceux-ci paient en double pour des soins qui leur sont nécessaires. Nous demandons également au gouvernement de la CAQ d’améliorer de façon rapide et significative les conditions de travail du personnel du réseau public, et de leur redonner autonomie, temps et flexibilité pour pouvoir bien soigner au sein de celui-ci.

Afin que le réseau public honore sa mission, l’État doit devenir le meilleur employeur en santé, rien de moins. Vu l’état des lieux, il devrait s’agir là d’une urgente priorité politique. La fragilisation orchestrée du système de santé public va-t-elle continuer sa trajectoire périlleuse ? Les Québécois d’aujourd’hui et de demain ont tout à perdre à ce que se poursuive le démantèlement de l’un de leurs principaux acquis sociaux.

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