Baisses d’impôts, un risque pour la soutenabilité budgétaire du Québec

Comme promis pendant la dernière campagne électorale, le ministre des Finances, Eric Girard, devrait annoncer une baisse d’impôts dans son budget du 21 mars. N’ayant pas diminué les impôts pendant son premier mandat et étant en voie d’atteindre les objectifs de réduction de la dette publique, le gouvernement semble considérer qu’il a aujourd’hui la marge de manoeuvre nécessaire pour procéder à une baisse d’impôt substantielle.
Or, à notre avis, une réduction permanente des revenus de l’État risque de nuire à la soutenabilité des finances publiques du Québec.
Nous avons récemment comparé différentes études sur la soutenabilité budgétaire à long terme du Québec. À partir de projections démographiques, économiques et financières, différents organismes prévoient l’évolution du solde primaire (le déficit ou les surplus) des gouvernements sur un horizon de plusieurs décennies.
Le Directeur parlementaire du budget (DPB) à Ottawa projette que le Québec est une des seules provinces dont les finances publiques sont viables sur un horizon de 75 ans. Selon lui, le gouvernement peut réduire ses revenus ou augmenter ses dépenses structurellement tout en maintenant l’équilibre budgétaire.
Or, les projections sont bien moins optimistes pour les 30 à 40 prochaines années, puisque le Québec subira de plein fouet les impacts du vieillissement de la population. De plus, les projections du DPB reposent sur trois postulats qui méritent que l’on s’y attarde.
Premièrement, les versements au Fonds des générations (FdG) sont maintenus, alors que le gouvernement a promis en campagne électorale de financer sa baisse d’impôts en diminuant ces versements. Deuxièmement, la croissance des dépenses de santé prévue est beaucoup plus faible que celles de projections comparables. Troisièmement, aucune dépense supplémentaire n’est prévue pour la transition énergique ou l’adaptation aux changements climatiques.
Si on tient compte de tous ces facteurs, il nous apparaît que les finances publiques du Québec ne sont pas soutenables sur un horizon de 30 à 40 ans. Les projections récentes faites par des chercheurs universitaires (Chaire en fiscalité et finances publiques et Finances of the Nation) reposent sur des postulats qui nous apparaissent plus prudents que ceux du DPB et qui suggèrent plutôt que la soutenabilité financière du Québec demeure fragile.
Ainsi, une baisse d’impôts financée à même les versements au FdG va contribuer à la détérioration de la soutenabilité des finances publiques du Québec, ce qui soulève des questions d’équité intergénérationnelle importantes. En effet, le gouvernement devra nécessairement hausser les impôts ou diminuer ses dépenses publiques à l’avenir pour éviter les déficits structurels.
Que faire ?
Il n’en demeure pas moins que le gouvernement devrait atteindre les cibles de réduction de la dette publique prévues par la loi. On peut se questionner sur la pertinence de vouloir diminuer la dette publique encore davantage en poursuivant la croissance des versements au FdG qui passeraient de 3,4 milliards en 2022-2023 à 5 milliards en 2026-2027 s’ils étaient maintenus.
Or, l’architecture actuelle du FdG crée trop d’incertitude. Les versements de plusieurs milliards de dollars par année représentent des sommes importantes. Il est tentant pour les gouvernements de réorienter une partie de ces versements vers une hausse des dépenses courantes ou vers une diminution des revenus de l’État.
Nous proposons que le gouvernement continue de verser des sommes directement au Fonds des générations pour stabiliser sa dette publique en vue de générer de la marge de manoeuvre budgétaire pour faire face à des chocs économiques. Toutefois, le gouvernement pourrait réallouer une partie des versements au Fonds des générations vers un « fonds d’amortissement de l’assurance maladie ». Ce fonds viserait à préfinancer au moins partiellement la croissance des dépenses de santé attribuable à l’évolution démographique de la population et aurait pour cible de répartir dans le temps la croissance des dépenses de santé liées à l’évolution du profil de risque d’une population vieillissante.
De toutes les variables, c’est la croissance des coûts de santé qui risque d’avoir le plus gros impact sur la soutenabilité budgétaire du Québec. Les dépenses de santé croîtront de 2,7 % du PIB selon l’évaluation optimiste du DPB à 4 % du PIB d’ici 2050 selon les autres projections. Il s’agit d’une croissance substantielle alors que les dépenses de santé représentaient environ 9 % du PIB en 2019.
Pour financer notre fonds d’amortissement de l’assurance maladie, la partie des revenus présentement dédiés au FdG que le gouvernement envisage de réorienter à une baisse des impôts serait épargnée dès maintenant et chaque année en vue d’être déboursée dans environ une décennie, quand les impacts de la transition démographique sur les coûts des soins de santé atteindront leur sommet. Les fonds déjà accumulés dans le FdG ne sont pas concernés par notre proposition.
La hausse des coûts de la santé risque d’entraîner, pour les générations futures, une hausse du fardeau fiscal ou une baisse des autres dépenses publiques. Il nous apparaît donc juste d’un point de vue d’équité intergénérationnelle d’épargner maintenant pour financer des dépenses qui seront engagées à l’avenir.