Et si le réseau collégial anglophone avait raison?

« Il suffit de jeter un œil à l’alléchante offre de cours dans les cégeps anglophones pour constater que les étudiants sont tout aussi bien outillés que leurs collègues francophones », soutient l'auteur.
Photo: Michaël Monnier archives Le Devoir « Il suffit de jeter un œil à l’alléchante offre de cours dans les cégeps anglophones pour constater que les étudiants sont tout aussi bien outillés que leurs collègues francophones », soutient l'auteur.

S’il y a une certitude en ce bas monde, c’est qu’on peut toujours compter sur les professeurs de philosophie (et de littérature) pour défendre la sacro-sainte formation générale au collégial. Ainsi, dès que l’on propose, comme l’a fait la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) la semaine dernière, de repenser le modèle de la formation générale dans les cégeps francophones, en s’inspirant du modèle des humanities propre au réseau anglophone, la montée aux barricades du lobby professoral ne se fait pas attendre, comme en fait foi la lettre parue le 9 mars dernier dans Le Devoir, et signée par quelque 800 personnes issues du milieu de l’enseignement.

Rappelons que la formation générale comprend notamment, dans les collèges francophones, quatre cours de littérature et trois cours de philosophie obligatoires, dont les compétences à atteindre sont les mêmes pour tous. C’est ce qui garantirait le fonds culturel commun cher aux défenseurs de cette approche. Dans le réseau anglophone, les cours de philosophie sont remplacés par des cours de humanities, où chacun des trois cours obligatoires se décline en une multitude de propositions.

Les étudiants peuvent par le fait même choisir un cours plus susceptible de les intéresser parmi ceux qui sont proposés par l’institution collégiale, et balisés par le devis ministériel. En ce sens, les étudiants ne sont pas des « clients rois » qui suivent leurs intérêts étroits, puisqu’ils sont toujours soumis à l’impératif de développer une compétence spécifique déterminée par le ministère de l’Éducation.

Il suffit de jeter un œil à l’alléchante offre de cours dans les cégeps anglophones pour constater que les étudiants sont tout aussi bien outillés que leurs collègues francophones, sinon mieux, pour comprendre le monde, y trouver leur place et participer à la vie démocratique. Par exemple, dans le premier cours de humanities, consacré à la connaissance au sens large, on s’initiera, si on le désire, à la pensée critique ou féministe, à l’évolution des droits de la personne, à la mythologie grecque ou à divers champs de la philosophie, et le choix ne s’arrête pas là (collège Dawson).

Et dans le second cours, qui porte sur les conceptions du monde, on pourra approfondir ses connaissances du christianisme ou des autres grandes religions, ou celles concernant la Grèce antique, la critique sociale et les utopies, ou encore les fondements intellectuels de la tradition occidentale, et j’en passe (collège Champlain). Rien ici qui rétrécisse la pensée, rien qui menace la « formation de l’esprit » de ces cégépiens hélas égarés du côté d’une éducation bassement libérale.

Il est vrai qu’un tel modèle s’éloigne de l’objectif de doter les étudiants d’une culture commune, ce que la formation générale, dans le secteur francophone, serait apparemment plus apte à fournir. Mais il suffit de consulter les plans de cours des professeurs de philosophie pour constater à quel point leurs pratiques divergent. Pour qu’il y ait un fonds culturel commun, il faudrait déjà que les professeurs s’entendent sur ce qui le constitue, en philosophie comme en littérature.

Quels sont les auteurs incontournables, les idées essentielles à enseigner, à transmettre ? Personne ne s’entend là-dessus — et c’est très bien comme ça —, ce qui se traduit par des cours parfois aux antipodes les uns des autres. Les cours de philosophie se rapprochent plus qu’on ne l’admet généralement des cours de humanities, si ce n’est que la diversité est ici restreinte à un seul domaine de connaissance, la philosophie. Et que les étudiants francophones ne savent pas, avant de commencer leur session, quelles sont les préférences intellectuelles de leur professeur ou l’orientation qu’il entend donner au cours.

En somme, les cours de philosophie ne garantissent en rien « l’entrée dans un univers culturel et symbolique commun ». On peut lire Platon, Descartes, Rousseau et Kant, ou pas. On peut s’initier aux fondements de la morale ou faire de l’éthique appliquée. On peut consacrer le premier cours de philosophie à l’héritage gréco-latin ou faire lire des auteurs contemporains. Mais, même s’il y avait une plus grande unité, davantage de recoupements entre les cours de philosophie actuels, comparés aux cours de humanities, il resterait la question de la motivation.

Celle des profs, d’abord : à mon collège, les volontaires manquent souvent pour donner le 101, de surcroît à la session d’hiver, parce que bien des étudiants également démotivés suivent le cours pour la seconde fois. Une plus grande latitude dans l’élaboration des contenus pourrait certainement motiver les troupes et, qui sait, rehausser la réussite.

Il est évident qu’offrir un certain choix aux étudiants peut avoir une incidence sur leur motivation. Peut-être vaut-il mieux découvrir Martin Luther King pour ensuite avoir envie de lire ceux qui l’ont influencé, comme Eschyle et Sophocle. Et si la culture se transmet, elle se partage aussi. L’individu qui, motivé par ce qu’il apprend, en parle à ses amis, à sa famille, participe ainsi à sa transmission, à sa pérennité et à sa mise en commun. Le plus grand danger qui guette la jeunesse, c’est le désintérêt et le désengagement, le repli sur soi. Cultiver le goût de comprendre la complexité du monde, susciter l’amour du savoir, sous toutes ses formes, devrait être notre priorité absolue.

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