Hydro-Québec s’enferme dans une vision dépassée

Outardes-4, est une centrale et un barrage érigés sur la rivière aux Outardes qui a été mis en service par Hydro-Québec, à Rivière-aux-Outardes sur la Côte-Nord, en 1969.
Photo: Archives Gouvernement du Québec Outardes-4, est une centrale et un barrage érigés sur la rivière aux Outardes qui a été mis en service par Hydro-Québec, à Rivière-aux-Outardes sur la Côte-Nord, en 1969.

La récente démission de Sophie Brochu à la direction d’Hydro-Québec semble témoigner de divergences de vues importantes sur la vision stratégique de l’entreprise. À l’évidence, les enjeux sont plus élevés que ceux du simple remplacement d’une dirigeante de talent. Pour les saisir, il n’est pas inutile de jeter un oeil sur le cas français.

L’expérience récente de la France

La France est le pays où la part de l’énergie nucléaire est la plus importante au monde. Elle a permis à la France de bénéficier depuis longtemps d’une électricité décarbonée bon marché. Malheureusement, le nucléaire n’est plus concurrentiel, car les nouvelles centrales sont de plus en plus coûteuses, alors que le prix des énergies renouvelables a fortement baissé depuis 15 ans.

Malgré le gouffre financier que constitue la nouvelle centrale nucléaire de Flamanville, EDF (pour Électricité de France, l’équivalent d’Hydro-Québec dans l’Hexagone) continue d’aller de l’avant et propose la construction de six nouvelles centrales.

De toute évidence, la France s’accroche encore à son statut de super puissance de l’atome civil. La plupart des Français partagent cette idée que l’industrie nucléaire française contribue à l’image et à la grandeur de la France dans le monde.

Le parallèle avec le Québec

Venons-en au Québec. Le parallèle avec la France est évident, sauf que nos centrales nucléaires à nous, ce sont les barrages. Ils coûtent de plus en plus cher à construire, parce que les meilleurs endroits ont déjà été utilisés et que chaque nouveau projet devient moins rentable que le précédent.

Prenons l’exemple de la Romaine : en coût de construction seulement, ce projet a coûté environ 7,5 milliards pour une production annuelle de 8,5 TWh. Pour la même production, des éoliennes coûtent aujourd’hui environ trois fois moins.

M. Legault doit se rendre à l’évidence : les barrages ont été le fer de lance de l’entreprise depuis 60 ans et sont à l’origine de ses succès passés. Mais, tout comme la construction de centrales nucléaires en France, la construction de barrages au Québec relève d’une stratégie passéiste, inadaptée et trop coûteuse. Il faut vivre avec son temps, reconnaître que les conditions ont changé et adapter sa stratégie en conséquence.

Évoquons un peu plus dans le détail les stratégies possibles. Au Québec, on nous annonce que, dans les années qui viennent, on aura besoin à la fois de plus d’énergie et plus de puissance.

Plus de puissance

En période de pointe, lors de périodes de grand froid, tous les barrages tournent au maximum de leur puissance, et Hydro-Québec n’a plus beaucoup de marge de manoeuvre. Comment l’augmenter ?

On pourra dire, comme en France d’ailleurs, que les éoliennes ne fonctionnent pas tout le temps et que le vent pourrait ne pas être au rendez-vous les journées de grand froid. Dans cette perspective, on nous affirme que seuls les barrages nous donnent l’assurance de nous procurer de la puissance disponible aux moments où l’on en a besoin.

Mais il existe d’autres solutions à ce problème de puissance. Une possibilité consisterait à augmenter les tarifs en période de pointe (et de les diminuer lors des autres périodes) pour inciter à économiser pendant les périodes critiques. C’est d’ailleurs une solution proposée par le ministre de l’Économie mais qu’a rejetée M. Legault.

Cette solution est pourtant utilisée par la quasi-totalité des pays européens. De plus, il faudra bien un jour éviter que tout le monde charge sa voiture électrique durant les heures de pointe. Un changement de mode de tarification d’Hydro-Québec est donc inévitable.

Les besoins en énergie

M. Legault affirme que le Québec doit augmenter sa production de 100 TWh d’ici 2050. Contrairement aux besoins de puissance, les besoins en énergie peuvent être comblés tant par des barrages que par du solaire ou de l’éolien. Or ces derniers sont beaucoup moins chers.

Dans le cas des éoliennes, M. Legault affirme que le secteur privé doit s’en occuper. Mais il faut comprendre que ces contrats comprennent un rendement sur le capital d’environ 12 % et qu’à la fin Hydro-Québec ne devient pas propriétaire de l’installation.

M. Legault devrait cependant se rappeler que tous les barrages construits par Hydro-Québec sont demeurés sa propriété une fois payés, ce qui explique pourquoi l’électricité d’Hydro-Québec est si peu chère aujourd’hui. À la fin, il ne reste que les coûts d’entretien et d’exploitation, et ceux-ci sont minimes. Pourquoi faire différemment avec les éoliennes qui, elles aussi, pourraient produire de l’électricité pas chère après avoir été payées ?

On peut aussi se demander pourquoi on investit dans un fonds des générations qui rapporte 6 % par an, alors qu’on paye 12 % au secteur privé pour investir sans risque dans des éoliennes. M. Legault, qui vient du secteur privé, devrait pourtant comprendre qu’il est préférable d’investir à 12 % plutôt qu’à 6 %.

Explorer d’autres solutions

Il y a aussi d’autres solutions. Il est grand temps qu’Hydro-Québec s’intéresse au potentiel éolien en mer du Québec. Aujourd’hui, c’est un secteur en développement beaucoup plus rapide que celui des éoliennes traditionnelles grâce à des vents plus constants et plus forts sur mer que sur terre. Les Américains viennent de décider de se saisir de cette occasion sur la côte est. À ce jour, on sait seulement que le potentiel éolien en mer du Québec est très important. Avant de décider d’une stratégie pour les 25 prochaines années, commençons par faire le tour des options !

En terminant, revenons à la France. À la suite de l’arrêt des importations de gaz russe, le gouvernement français a fait un appel à tous pour plus de sobriété. Cette campagne a été un franc succès, car la consommation d’électricité a baissé de 10 %. À l’échelle du Québec, c’est l’équivalent de trois fois le projet de la Romaine !

Plusieurs considèrent comme peu crédible le discours écolo qui consiste à dire qu’il est moins cher d’économiser l’énergie que de construire de nouvelles centrales. Or l’expérience française montre bien que cette stratégie mérite toute sa place au Québec.

M. Legault veut construire la Baie-James du XXIe siècle, mais sa vision est complètement dépassée.

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