Par amour des jeunes

À la suite des nombreuses questions de mon entourage sur « ce que je pensais de la lettre d’opinion de Sonia Lupien » faisant implicitement référence aux travaux que nous avons récemment menés, j’ai pensé, comme responsable du projet, qu’il valait la peine de rectifier certains faits.
Puisque vous semblez avoir le temps de rédiger une telle lettre, Madame Lupien, j’aurais espéré que vous ayez également pris le temps de prendre connaissance de nos travaux avant de les critiquer publiquement. Voici les multiples raisons qui me portent à croire que votre critique à l’égard de nos travaux n’est pas fondée :
Selon votre lettre, les récents travaux auxquels vous faites référence auraient rapporté que ce sont « 50 % de jeunes qui souffrent d’anxiété ». Il s’agit malheureusement d’une mauvaise interprétation de nos données. Nos observations nous amènent plutôt à affirmer que parmi nos 17 708 répondants âgés de 12-25 ans dans quatre régions du Québec, 37 % des jeunes au secondaire et 52 % de ceux aux études supérieures rapportent des symptômes modérés à sévères d’anxiété ou de dépression. Si vous aviez assisté à notre webinaire du 8 février dernier, comme l’ont fait 600 autres personnes, vous auriez bien saisi la nuance.
Il est précisé dans votre lettre que nos résultats semblent extraordinaires (en faisant référence au 50 %), alors que typiquement, de 20 à 25 % des jeunes sont aux prises avec des problèmes d’anxiété. Intéressant, car dans notre enquête de janvier 2023, 25 % des jeunes sondés au secondaire rapportent des symptômes modérés à sévères d’anxiété seulement. Pas si extraordinaires que ça…
Dans votre lettre d’opinion, vous mentionnez avec justesse qu’une distinction doit être apportée entre les symptômes d’anxiété passagers et ceux qui sont plus soutenus dans le temps. Précisons que, dans nos enquêtes, les symptômes d’anxiété et de dépression sont mesurés à l’aide de deux échelles internationalement reconnues (GAD-7 et PHQ-9) qui examinent la fréquence de différents symptômes (sept pour l’anxiété et neuf pour la dépression) au cours des deux dernières semaines.
Ainsi, pour « faire partie de nos statistiques », les jeunes doivent rapporter au moins cinq symptômes d’anxiété ou cinq symptômes de dépression, et ce, plus d’un jour sur deux au cours des deux dernières semaines. Des critères similaires sont utilisés en clinique pour poser un diagnostic de trouble dépressif. Cependant, les données recueillies par enquête ne permettent jamais de distinguer les symptômes dits « pathologiques » des symptômes « non pathologiques ». Seul un clinicien peut faire cette différence. Cette précision a d’ailleurs été clairement apportée dans le webinaire et dans nos communications subséquentes.
Vous mentionnez également que « s’inquiéter d’un pourcentage élevé de jeunes qui disent vivre des manifestations d’anxiété alors que ces symptômes n’ont été mesurés qu’une seule fois est une conclusion hâtive ». Permettez-moi d’apporter ici encore une fois une nuance importante. Nos enquêtes ont été menées auprès des jeunes de diverses régions en janvier 2020, janvier 2021, janvier 2022 et janvier 2023. Même si les jeunes n’ont pas été suivis individuellement, on peut tout de même parler de mesures répétées dans le temps (à l’échelle écologique). Il apparaît donc erroné de dire que les manifestations d’anxiété (et de dépression) n’ont été mesurées qu’à une seule reprise.
Nos mesures répétées dans le temps ont d’ailleurs mis en lumière plusieurs tendances inquiétantes lorsqu’on compare les données de janvier 2023 (un an après la pandémie) à celles de janvier 2020 (juste avant la pandémie). On note notamment une plus faible proportion de jeunes rapportant une bonne santé mentale, ainsi qu’une plus faible proportion de jeunes rapportant une facilité de parler de ses problèmes avec sa famille ou avec ses amis en 2023. Ne pas vouloir croire ces données vous appartient, mais je me sens le devoir de mon côté de les partager afin que l’on comprenne mieux comment vont nos jeunes.
Concernant les possibles biais liés à nos travaux, évidemment qu’ils existent, comme dans toute enquête ou toute étude d’ailleurs. Encore une fois, si vous aviez pris la peine d’écouter le webinaire ou encore de me contacter directement, vous auriez compris que nous n’avons jamais tenté de masquer ces biais. Cela étant, il importe de souligner que nos enquêtes dans les écoles secondaires sont habituellement réalisées pendant les heures de classe, et ce, auprès de l’ensemble des élèves des classes participantes (sur une base volontaire et anonyme bien sûr). La majorité du temps, il ne s’agit donc pas d’un simple hyperlien à remplir un soir de semaine par les élèves les plus motivés par le sujet, comme vous semblez l’insinuer.
Vous critiquez vertement le fait que des travaux comme les nôtres mettent à tort l’accent sur les problèmes et non sur les solutions. C’est à mon avis le commentaire le plus dérangeant, car nous trouvons tout comme vous important de mettre en avant les facteurs de protection et les pistes de solution pour favoriser le bien-être des jeunes. Deux des cinq pages résumant nos travaux sont d’ailleurs destinées à ces aspects plus positifs (un rapport complet suivra sous peu). Nous y avons même mis en avant votre site Web comme ressource pertinente.
Soulignons également toute la démarche de coconstruction derrière cette enquête, en étroite collaboration avec des partenaires du milieu scolaire et de la santé de quatre régions. Cette collaboration qui s’échelonne sur plusieurs semaines nous aide à choisir les thèmes, à valider le questionnaire, à interpréter les résultats, à établir des pistes de solution et à diffuser des feuillets pour chaque école participante (en cours de production). Nous sommes fières de ce beau travail de mobilisation réalisé avec tant de gens sur le terrain.
Ainsi, Madame Lupien, je dois avouer que je suis consternée face à votre critique assez incisive de nos travaux, et ce, sans même avoir tenté préalablement d’obtenir des explications auprès de l’équipe responsable desdits travaux.
Par amour des jeunes, cessons de nous chamailler entre experts, chercheurs ou cliniciens. Ce sont nos efforts concertés qui amèneront nos décideurs et la société tout entière à prioriser, une fois pour toutes, la santé et le bien-être de nos générations futures.
Par amour des jeunes, je vous propose que nous entamions un réel dialogue et que nous unissions nos forces dans cet important enjeu sociétal.
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