L’obésité énergétique du Québec

« C’est vraiment par le faible niveau du prix de l’électricité que le Québec se distingue, non seulement des régions des autres continents, mais aussi de ses propres voisins », indique l'auteur.
Photo: Olivier Zuida archives Le Devoir « C’est vraiment par le faible niveau du prix de l’électricité que le Québec se distingue, non seulement des régions des autres continents, mais aussi de ses propres voisins », indique l'auteur.

La publication récente de L’état de l’énergie au Québec 2023, produite par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, a reçu un accueil médiatique remarquable. L’information qui a attiré le plus d’attention est le niveau très élevé de la consommation d’énergie mis en évidence par des indicateurs comme la consommation d’énergie par habitant et par dollar de production de l’économie québécoise. Par exemple, en 2020, la consommation d’énergie par habitant au Québec dépassait celle de la planète par un facteur de 3,5 ; c’est énorme. Même parmi les pays industrialisés, le Québec se classe dans les tout premiers rangs. Cette consommation très élevée a été associée, au sens figuré, à l’obésité et même à l’ébriété. Les auteurs montrent les principales activités responsables de cette consommation, à savoir le transport sous toutes ses formes, les bâtiments commerciaux et résidentiels et la grande industrie dont la production d’aluminium fournit l’illustration la plus manifeste.

Bien que les auteurs présentent des informations sur les activités qui font partie du paysage quotidien des Québécois, ces informations ne jettent pas de lumière sur les causes premières de cette consommation abondante. Même lorsque le Québec est comparé à des régions nordiques comme la Norvège, la Suède et la Finlande, qui ont des conditions ambiantes semblables, il ressort encore tout au haut de l’échelle. L’explication de ces différences repose sur des considérations économiques, particulièrement sur les prix des sources d’énergie. L’objectif de ce texte est d’apporter un éclairage complémentaire qui permettra aussi d’apprécier les difficultés qui se présentent déjà dans le contexte de la transition énergétique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

La consommation énergétique québécoise fait appel principalement à trois sources d’énergie : il y a d’abord l’électricité et les produits pétroliers qui fournissent un apport du même ordre, suivis par le gaz naturel dont la contribution est moindre. Le prix du pétrole brut est déterminé par le marché mondial et, sauf quelques exceptions, les prix sont les mêmes dans les différents pays. Les écarts des prix payés par les usagers résultent surtout des taxes prélevées par les gouvernements. Les taxes au Québec sont du même ordre que celles des autres provinces, mais supérieures à celles des États-Unis ; par contre, elles sont beaucoup plus faibles que celles des pays européens. Le prix du gaz naturel consommé au Québec est déterminé par le marché intégré canado-américain et il est beaucoup plus bas que celui des autres continents à la suite de la révolution du gaz de schiste survenue depuis 2008.

C’est vraiment par le faible niveau du prix de l’électricité que le Québec se distingue, non seulement des régions des autres continents, mais aussi de ses propres voisins. Par exemple, en 2019, les prix moyens en ¢/kWh payés par les consommateurs résidentiels étaient 7,3 au Québec, 12,0 en Ontario, 17,5 en Norvège, 30,5 à New York et 33,4 à Boston. Le bas prix au Québec repose sur sa dotation exceptionnelle en ressources hydroélectriques, leur propriété publique et le cadre tarifaire pour leur mise en valeur.

La Norvège produit également son électricité à partir de ressources hydroélectriques de propriété publique. Cependant, le prix de gros est le même que celui payé par les autres participants d’un marché beaucoup plus vaste incluant, entre autres, la Suède, la Finlande et le Danemark. Au Québec, la tarification est basée sur le coût moyen et les sites hydroélectriques ont été développés par ordre croissant des coûts ; il s’ensuit que les sites à faibles coûts interfinancent les sites à coûts élevés, et que le prix payé par les usagers est moindre que les coûts de nouvelles ressources développées pour répondre à la demande croissante. Ce cadre tarifaire résulte du fameux contrat social établi lors de la nationalisation en 1962 et la majorité des électeurs québécois l’appuient encore fermement.

Dans le contexte de la transition énergétique en développement, le bas prix de l’électricité fondé sur des énergies renouvelables, surtout hydroélectriques, présente à la fois des avantages mais aussi des inconvénients. Du côté positif, il entraîne la substitution des énergies fossiles, sources de GES ; c’est l’orientation actuellement poursuivie par le gouvernement. Du côté négatif, ce faible prix ne favorise pas l’amélioration de l’efficacité énergétique par les usagers, puisqu’il réduit la rentabilité des investissements que ceux-ci pourraient réaliser à cette fin.

Il faudra faire appel à d’autres instruments d’intervention, comme les subsides et la réglementation, même s’ils génèrent des coûts substantiels. L’état de la consommation électrique des Québécois a été associé à l’obésité et même à l’ébriété, mais il est bon de rappeler que les campagnes de tempérance donnent de piètres résultats pour de telles conditions.

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