Contre l’application de la loi 101 au collégial

Il est inutile de faire des cégeps anglophones des boucs émissaires d’un problème généralisé, estime l’auteur.
Martine Doucet Getty Images Il est inutile de faire des cégeps anglophones des boucs émissaires d’un problème généralisé, estime l’auteur.

Craignant une anglicisation irrévocable des élèves francophones et allophones, plusieurs enseignantes et enseignants dans le réseau collégial militent — par la voie inhabituelle de résolutions syndicales — pour l’application de la loi 101 au cégep. Cela aurait pour effet d’interdire à tous les élèves, sauf une petite proportion « d’ayants droit », de s’inscrire dans un cégep anglophone. Enseignant dans un cégep francophone de Montréal, je reconnais la valeur du français et la vocation des cégeps dans la société québécoise. Cependant, il m’importe de soulever des questions sur cette proposition.

Tout d’abord, l’idée que cette mesure serait indispensable pour contrer un déclin du français face à l’anglais est mal fondée. Selon un rapport de Statistique Canada publié le 17 août 2022, le nombre de personnes qui parlent le français de façon prédominante à la maison au Québec en 2021 est en hausse absolue par rapport à 2016 (de 6,4 à 6,5 millions) et connaît seulement un léger déclin relatif de 1,5 %. Est-ce qu’un changement aussi mineur justifie une mesure aussi radicale que l’application de la loi 101 à tout le réseau collégial ? À tout le moins, il n’y a pas d’urgence ; prenons le temps d’y réfléchir.

Certes, il y a lieu de s’inquiéter du déclin de la qualité de l’apprentissage du français dans le système d’éducation, comme en témoignent les derniers résultats désolants des élèves de 5e secondaire à l’épreuve ministérielle de français écrit. Toutefois, ce problème de littératie prend forme bien en amont du collégial, et découle de causes déjà identifiées, comme la pénurie d’enseignantes et d’enseignants au primaire. Une société qui veut prioriser l’enseignement du français ne devrait-elle pas investir davantage dans les écoles déjà régies par la loi 101 ? Il est inutile de faire des cégeps anglophones des boucs émissaires d’un problème généralisé qui prend racine des années avant que les élèves ne franchissent leurs portes.

Respect et écoute

De plus, il me semble que nous devrions faire plus d’efforts pour écouter sérieusement les élèves québécois qui seraient affectés par une telle mesure, au lieu de délégitimer d’emblée leurs motivations à faire des études supérieures en anglais, sous prétexte qu’ils seraient sous l’emprise d’une « fausse conscience » capitaliste ou bien des zombies de la culture américaine. Cette condescendance devrait faire place au respect et à l’écoute, d’autant plus que la prochaine génération de Québécoises et de Québécois sera inéluctablement aux prises avec des problèmes d’envergure internationale, des changements climatiques au déclin de la démocratie. Les jeunes d’aujourd’hui savent très bien que la maîtrise de l’anglais à un haut niveau est indispensable pour ces problèmes : quelle influence Greta Thunberg aurait-elle eue si elle ne parlait que le suédois, ou Malala Yousafzai, le pachtou ? Elles et ils ont aussi la perception que, dans le contexte actuel, s’inscrire à un cégep anglophone reste le meilleur, voire le seul, chemin pour atteindre cet objectif.

Pour ma part, j’en ai discuté avec mes brillants élèves du collège de Bois-de-Boulogne, et beaucoup me disent ceci : le français leur tient à coeur, elles et ils souhaitent s’épanouir au Québec, mais l’application de la loi 101 au collégial serait vue comme une mesure contraignante qui viserait à les bloquer dans leur choix d’éducation et de carrière. Veut-on vraiment faire fi de cette perception et courir ainsi le risque d’engendrer du ressentiment chez la prochaine génération ?

Cependant, mes étudiantes et étudiants ont été nombreux à suggérer une autre avenue qui me paraît beaucoup plus prometteuse. Ne pourrait-on pas faire l’essai de créer, à titre optionnel, quelques cours de programme en anglais dans les cégeps francophones ? Les étudiantes et étudiants soutiennent eux-mêmes qu’une telle réforme pourrait atténuer considérablement la concurrence avec les cégeps anglophones en leur offrant une excellente éducation dans le réseau collégial francophone sans sacrifier l’acquisition d’une bonne connaissance de l’anglais dans leur domaine.

Dans tous les cas, ne succombons pas à l’alarmisme — notre devoir comme spécialistes de l’enseignement supérieur est de réfléchir avec un esprit ouvert à comment outiller nos élèves pour qu’elles et ils soient en mesure d’exercer une pleine participation intellectuelle, culturelle et citoyenne à la société québécoise du XXIe siècle.

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