Reconnaître la neurodiversité
![« En tant que mouvement, [la neurodiversité] se définit d’abord par l’engagement en faveur d’une meilleure inclusion des attitudes comportementales qui ne correspondent pas à la neuronormativité », résume l'auteur.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1468147_1125914/image.jpg)
Développée à la fin des années 1990 par la psychologue et sociologue Judy Singer, la notion de neurodiversité est associée à l’autisme et au mouvement de revendication pour les droits des personnes autistes ; puis, elle s’est élargie à d’autres divergences cognitives telles que le TDAH, les troubles d’apprentissages (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, dysphasie), la douance, l’hypersensibilité, la synesthésie et la déficience intellectuelle. Mais la littérature à ce sujet nous apprend aussi que le mot neurodiversité renvoie à l’ensemble des profils cognitifs humains. Dès lors, il ne s’identifie pas uniquement aux personnes diagnostiquées neuroatypiques, mais à toutes les variations neurocognitives de l’espèce humaine.
Comme le rappelle Juliette Speranza, dans un article paru en 2020, la neurodiversité serait comparable à la biodiversité associée à la variété des formes de vie sur Terre. Bien que cette comparaison à l’ensemble des êtres vivants et des écosystèmes puisse sembler utile à notre compréhension de la pluralité des différents profils cognitifs, cela ne doit pas nous faire oublier, comme le souhaite notamment Singer, que la neurodiversité n’est pas un phénomène naturel en déclin, comme nous pouvons le constater pour la biodiversité ; bien au contraire, elle s’identifie aussi à un mouvement culturel qui milite en faveur de la différence et de la reconnaissance de cette différence.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Espace art actuel, hiver 2023, no 133.En tant que mouvement, la neurodiversité suppose certes la pluralité neurocognitive des êtres humains, mais elle se définit d’abord par l’engagement en faveur d’une meilleure inclusion des attitudes comportementales qui ne correspondent pas à la neuronormativité. Il est donc compréhensible que des réactions peu appropriées soient fréquentes vis-à-vis des personnes considérées comme n’ayant pas les capacités de fonctionner selon les normes prescrites par la société. Ce fonctionnement différent de la norme dominante est souvent jugé comme une déficience menant à la neuroexclusion. Celle-ci engendre forcément de la discrimination, que la philosophe et professeure à l’UQAM Amandine Catala nomme « injustice épistémique », et qui se caractérise par le refus d’estimer l’expérience des individus neurodivergents comme pouvant générer de la connaissance. Dans ce cas, les êtres à « l’esprit minorisé » sont indubitablement marginalisés, incompris et condamnés à leur univers mental inapte à réagir normalement en société. Devant cette injustice basée sur des préjugés et de l’incompréhension, le mouvement de la neurodiversité incite à un changement d’attitude face aux personnes neuroatypiques, que ce soit à l’école, au travail et dans la vie en général. La norme restera certes toujours la norme, mais celle-ci devrait pouvoir, autant que faire se peut, accueillir d’autres façons de penser, de raisonner, de réagir au monde ambiant. En incluant différents modes d’existence, la neurodiversité permet justement d’envisager l’intelligence de diverses manières à travers lesquelles le besoin de créer semble souvent se manifester. Mais pour ce faire, il ne peut être question d’imposer un mode d’existence en particulier, bien au contraire, comme le diront Erin Manning et Brian Massumi : « Ce qui doit être soigné, c’est la relation entre les modes d’existence. »
Les textes du dossier « Neurodiversité » — codirigé par Mélissa Sokoloff, art-thérapeute — se présentent sous deux aspects. D’une part, il y a ceux qui soulignent l’apport de certains organismes engagés à partir de l’art-thérapie dans le développement de l’autonomie des personnes en situation de handicap ; d’autre part, il y a ceux qui offrent, par le truchement d’entretiens et de témoignages, les propos d’art-thérapeutes ou d’artistes autistes sur l’environnement favorable à une pratique artistique. Dans tous ces textes, la valorisation et l’inclusion des personnes neurodivergentes deviennent importantes. Pour y parvenir, des organismes québécois comme Ruches d’art, Les Impatients ou Le Cap proposent des activités de création facilitant des pratiques participatives où le dialogue et l’écoute sont essentiels pour développer un esprit communautaire. D’autres textes donnent la parole à des artistes autistes qui affichent ouvertement leur spécificité cognitive tout en souhaitant briser les tabous qui persistent autour de la neurodiversité. Certaines de leurs déclarations soulignent les efforts déployés en vue de se démarquer au sein du milieu artistique. Dans la section « essai » de ce dossier, Map, artiste non binaire, pose plus spécifiquement un regard critique sur le « modèle médical occidental » et sur les multiples défis auxquels une artiste autiste fait face malgré les « fameuses initiatives d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) ». Et puisque l’inclusion institutionnelle en rapport à la diversité est, selon l’artiste, loin d’être accomplie, Map a préféré fonder, au printemps 2022, un centre autogéré exclusivement par des artistes de la diversité capacitaire ayant pour nom DC — Art indisciplinaire.
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