Une voie rapide pour enseigner au primaire qui ne mène nulle part

« Une telle voie rapide vers le brevet ne tient absolument pas la route en ce qui concerne l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire, où les personnes enseignantes doivent maîtriser toutes les matières à enseigner », fait valoir l’auteur.
Photo: Jean-Francois Badias Associated Press « Une telle voie rapide vers le brevet ne tient absolument pas la route en ce qui concerne l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire, où les personnes enseignantes doivent maîtriser toutes les matières à enseigner », fait valoir l’auteur.

Astronome, communicateur scientifique et professeur de didactique des sciences à l’UQAM, l’auteur est aussi directeur de l’Unité de programmes de premier cycle en éducation préscolaire et enseignement primaire.

Le 26 janvier dernier, le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, annonçait ses sept priorités pour l’éducation et la réussite de nos jeunes. Parmi les propositions soumises, l’une promettait de « rétablir une voie rapide vers le brevet d’enseignement » pour les personnes détentrices d’un baccalauréat dans une discipline visée par les programmes de formation (français, mathématiques, histoire, etc.). Par le biais d’une procédure de reconnaissances d’acquis basée sur les meilleures pratiques dans le domaine et d’un programme de formation plus souple que l’actuelle maîtrise qualifiante de 60 crédits, l’on promet d’atténuer la pénurie de personnes enseignantes qualifiées dans le réseau québécois de l’éducation.

Nul n’est contre la vertu, et une telle proposition se rapproche de ce qui existe déjà pour l’enseignement au secondaire où, dans un monde idéal, les personnes enseignantes n’enseignent que dans leur domaine de spécialisation. C’est ainsi qu’une personne détentrice d’un baccalauréat en physique pourra, après avoir suivi des cours de pédagogie et de didactique des sciences et de la technologie, enseigner les sciences au secondaire. Cela dit, il lui faudra tout de même une formation disciplinaire d’appoint en biologie, en chimie, en sciences de l’environnement, etc. On voit mal, dans les circonstances, comment y arriver en moins de 60 crédits…

Mais une telle voie rapide vers le brevet ne tient absolument pas la route en ce qui concerne l’éducation préscolaire et l’enseignement primaire, où les personnes enseignantes doivent maîtriser toutes les matières à enseigner. Quels sont ces domaines de formation que la société juge important qu’ils soient enseignés aux élèves, dès le plus jeune âge ?

Au Québec, l’apprentissage du français parlé et écrit et des mathématiques constitue le socle sur lequel peuvent se construire tous les autres savoirs. Puis viennent dans le désordre l’éducation physique et à la santé, l’apprentissage d’une langue seconde (l’anglais, en l’occurrence), les arts, Éthique et culture religieuse (qui devrait être remplacé sous peu par Culture et citoyenneté québécoise), géographie, histoire et éducation à la citoyenneté, et science et technologie.

Voilà donc autant de matières à enseigner au primaire, et qui demandent pour chacune non seulement la maîtrise des contenus de base, mais également la maîtrise des stratégies pédagogiques et didactiques pour en favoriser l’apprentissage par les élèves. Et c’est sans compter la nécessaire différenciation pédagogique qui permet de s’adapter aux besoins spécifiques des élèves, l’orthopédagogie pour les élèves en difficulté, la collaboration avec l’équipe-école et les parents…

La tâche d’enseigner au préscolaire et au primaire est complexe et exige la maîtrise de compétences professionnelles et de connaissances de haut niveau.

C’est ainsi qu’au primaire, où l’on juge essentiel pour le bien-être des élèves qu’il n’y ait qu’une seule personne enseignante responsable de leurs apprentissages, l’on demande à cette personne d’être formée — et bien formée — dans toutes les matières à enseigner. Et que l’on n’aille pas penser que, parce qu’il s’agit d’éducation préscolaire et d’enseignement au primaire, les personnes enseignantes n’ont besoin que d’une connaissance superficielle des contenus et des approches pédagogiques pour bien enseigner. C’est au primaire que l’on jette les bases qui feront des élèves des apprenants pour la vie, et ce travail commande de la part des personnes enseignantes une très haute maîtrise de chacune des matières à enseigner.

Voilà pourquoi les solutions de compromis qui ont été annoncées par le ministre de l’Éducation en janvier dernier ne tiennent pas la route lorsqu’il est question d’éducation préscolaire et d’enseignement primaire. Une solution valide pour le secondaire ne peut pas être bêtement transposée au primaire. Une personne détentrice d’un baccalauréat en mathématiques n’est tout simplement pas apte à enseigner toutes les autres matières visées par le Programme de formation de l’école québécoise au préscolaire et au primaire.

Ce n’est pas en diminuant ainsi les exigences de formation pour répondre à un problème de pénurie à court terme que l’on améliorera le sort des élèves dans les écoles primaires du Québec !

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