La Russie va-t-elle ouvrir un front en Moldavie?

La présidente moldave, Maia Sandu, lors d’une allocution prononcée devant le Parlement européen, en mai 2022
John Thys Agence France-Presse La présidente moldave, Maia Sandu, lors d’une allocution prononcée devant le Parlement européen, en mai 2022

Après une année de guerre acharnée sans les résultats escomptés sur le terrain, la Russie explore d’autres stratégies militaires pour vaincre l’Ukraine.

Dans une entrevue accordée le 2 février 2023 au média Nexta, le ministre des Affaires extérieures de la Russie, Sergueï Lavrov, en réponse à la question « Quel pays autour de la Russie pourrait suivre le même chemin que l’Ukraine ? », a répondu sans trop d’hésitation : « La Moldavie. »

Les raisons données par Lavrov pour justifier une agression éventuelle contre ce pays, descendant, comme la Russie, de l’Union soviétique, sont les suivantes : « D’abord, parce qu’ils ont élu une présidente [Maia Sandu, en poste depuis décembre 2020] à la tête du pays en utilisant des méthodes qui sont loin d’être démocratiques. » De même, selon Lavrov, la Moldavie veut se joindre à l’OTAN malgré le fait que le pays a inséré la neutralité à sa constitution, ce qui l’empêche d’appartenir à des organisations internationales à vocation militaire. En outre, Lavrov reproche à la présidente moldave d’avoir la citoyenneté roumaine et de vouloir « unifier la Moldavie et la Roumanie », ce qui, somme toute, serait légitime, car la Moldavie était une région roumaine et a été annexée à l’Union soviétique par Staline en 1940, en même temps que les pays baltes, lors du pacte Molotov-Ribbentrop.

Le déni de la souveraineté et de la légitimité du gouvernement moldave par Lavrov vise à justifier le changement de régime politique en Moldavie qui le rendrait semblable à celui en place en Biélorussie, alliée inconditionnelle de la Russie, qui offre un soutien politique et logistique complet à l’armée russe dans sa guerre contre l’Ukraine.

Notons que la Russie a envoyé environ 13 000 soldats en Biélorussie, ce qui a obligé l’Ukraine à déployer une partie de ses forces à cette frontière pour prévenir une attaque éventuelle de l’armée russe à partir du territoire biélorusse. Il appert que la Russie pourrait utiliser le territoire moldave, comme elle l’a fait en Biélorussie, si elle est capable d’opérer un changement de régime politique en Moldavie. En envoyant l’armée russe à la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine, Moscou pourrait disperser davantage l’armée ukrainienne, déjà engagée sur une ligne de front d’une longueur de plus de 900 kilomètres.

Le danger d’un changement de régime politique par un coup d’État en Moldavie est réel, d’après la présidente Maia Sandu. Le fait que ce pays pourrait un jour devenir membre de l’Union européenne est suffisant pour que la Russie songe à remplacer le gouvernement actuel par un gouvernement prorusse. Cette opération pourrait être d’autant plus facile que l’armée russe est présente en Moldavie depuis 1991, dans la région de la Transnistrie, une entité autoproclamée indépendante sur laquelle le gouvernement moldave n’exerce aucun contrôle, le pouvoir étant détenu par l’armée russe, qui y dispose d’environ 2000 soldats.

Dans une allocution faite à la population moldave et à la presse, la présidente Sandu a déclaré que le plan intercepté par les services de sécurité de son pays visait le renversement du gouvernement en place et « prévoyait des attaques d’édifices étatiques et des prises d’otages par des saboteurs au passé militaire déguisés en civils ». Toujours selon Sandu, « des ressortissants russes, biélorusses, serbes et monténégrins étaient mobilisés pour fomenter le coup d’État en Moldavie ».

L’histoire pourrait se répéter. Le même scénario de changement de régime politique a été tenté par la Russie et la Serbie au Monténégro en 2016 pour renverser le gouvernement légitime en place et empêcher le pays d’adhérer à l’OTAN en 2017. L’opération a échoué, et 15 participants au coup d’État ont été arrêtés et jugés devant un tribunal du Monténégro.

Deux des accusés, Eduard Shishmakov et Vladimir Popov, étaient des membres du renseignement militaire russe (GRU). Ils ont reçu une peine d’emprisonnement de 12 et 15 ans respectivement. Cependant, les autorités n’ont pas pu les arrêter, car ils ont quitté le Monténégro avant. Les ressortissants serbes et monténégrins qui ont participé à la préparation du coup d’État ont écopé de peines d’emprisonnement allant d’un à cinq ans.

La déstabilisation de la Moldavie et son attraction dans le giron russe pourraient être, pour le régime du Kremlin, une victoire qui lui échappe en Ukraine. Une concertation des pays occidentaux pour protéger la démocratie moldave est grandement nécessaire, d’autant plus que le nouveau gouvernement nommé par la présidente Sandu, dirigé par son conseiller à la sécurité nationale, Dorin Recean, a lancé un appel à l’aide internationale pour prévenir un éventuel coup d’État. Le combat contre les velléités expansionnistes russes ne doit pas faiblir.

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