Les sacrifiés de la bonne entente

C’est le 6 décembre 2000. À l’hôtel de ville de Hull, la commission Larose entend les présentations sur la situation du français dans l’Outaouais. Le Comité d’action francophone du Pontiac (CAFP) témoigne de la difficulté de vivre en français, voire de la discrimination pure et simple qu’éprouvent parfois les francophones dans cette MRC à majorité de langue anglaise. Son porte-parole relève en terminant que les francophones du Pontiac ont souvent appelé au secours, mais en vain. Puis il lance aux commissaires : « Espérons que cette fois sera la bonne ! »
À la fin des témoignages, Gérald Larose salue bien bas la persistance des francophones dans l’adversité. « On est faits forts ! » tonne-t-il en point d’orgue. Gros applaudissements. Sauf que le rapport Larose n’a rien proposé pour contrer l’anglicisation dans le Pontiac ou l’Outaouais. Ni ailleurs au Québec.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons un texte paru dans la revue L’aut’journal, février 2023, no 413.Le CAFP a fait publier peu après l’excellente étude de Luc Bouvier, Les sacrifiés de la bonne entente. Histoire des francophones du Pontiac. Bouvier décrit avec brio le pourquoi et le comment de l’assimilation qui sévit dans ce coin magnifique du Québec où, sur le plan linguistique, l’on se croirait pourtant en Ontario. Lui aussi souligne l’inaction persistante de nos hauts placés devant cet état de fait.
La Société Pièce sur pièce et L’Action nationale viennent de rééditer ce livre indispensable, augmenté de nouvelles données de recensement. On y apprend que, dans le Pontiac, l’anglicisation des francophones est passée de 8 % en 1971 à 16 % en 2016. Et que le bilinguisme a grimpé jusqu’à 85 % parmi les francophones, tandis qu’il stagne à 28 % parmi les anglophones.
Le recensement de 2021 confirme ces tendances. Le Pontiac comptait alors 5737 francophones selon la langue maternelle, mais 4691 selon la langue d’usage actuelle à la maison, ce qui représente un taux d’assimilation de 18 %. Le bilinguisme a atteint 88 % parmi les francophones, mais croupit toujours à 27 % chez les anglophones. L’anglais demeure la langue commune du Pontiac.
Voyons de même l’ensemble de l’Outaouais, qui regroupe la Ville de Gatineau, sa MRC périurbaine des Collines-de-l’Outaouais et les MRC rurales de Papineau, La Vallée-de-la-Gatineau et Pontiac. Depuis 2001, le poids du français, langue d’usage, y a chuté de 79,9 à 73,9 %, soit une perte de 6 points de pourcentage, dont 3,2 au profit de l’anglais et 2,8 au profit des autres langues. L’Outaouais s’anglicise donc. Rapidement. Une poussée démographique dans Papineau, à 93 % francophone, a toutefois compensé l’assimilation des francophones dans le Pontiac et La Vallée-de-la-Gatineau. L’anglicisation de l’Outaouais se trouve ainsi propulsée par celle de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Gatineau. Plus précisément, par l’anglicisation de son noyau urbain, la Ville de Gatineau.
Gatineau s’anglicise à tour de bras. Depuis 2001, le poids du français, langue d’usage, y a reculé de 83,1 à 74,5 %, soit d’environ 9 points de pourcentage, dont 5 au profit de l’anglais et 4 au profit des autres langues. Et cela s’accélère. La population de langue d’usage anglaise s’est accrue 1,6 fois plus vite que celle de langue française en 2001-2006, 3 fois plus vite en 2006-2011, 7 fois plus vite en 2011-2016 et 27 fois plus vite en 2016-2021.
La frousse indépendantiste passée, Gatineau attire des migrants du Canada anglais par du logement moins cher qu’à Ottawa. Mais la hausse continue des gains de l’anglais par voie d’assimilation contribue tout autant, sinon davantage à son anglicisation. Le taux d’anglicisation des francophones dans la RMR de Gatineau est passé de 1 % en 2001 à 3 % en 2021, voire à 5 % parmi les 25 à 34 ans, une dynamique haussière semblable à celle qui sévit dans l’île de Montréal.
Le bilinguisme dans Gatineau a évolué de façon similaire. Entre 2001 et 2021, il a progressé de 66 % à 68 % parmi les francophones, langue maternelle, mais a chuté de 63 % à 55 % parmi les anglophones. Parmi les jeunes adultes âgés de 20 à 39 ans, il a atteint 82,3 % chez les francophones, mais s’est effondré à 52,8 % chez les anglophones. Cet écart de 30 points indique quelle langue devient de plus en plus commune entre francophones et anglophones à Gatineau.
Du temps où Trudeau père bulldozait le coeur de ce qui est devenu la nouvelle ville de Gatineau, le maire Marcel D’Amour demandait à ses commettants s’ils étaient favorables à la venue d’édifices fédéraux à Hull et au renforcement de son caractère français. Deux perspectives manifestement antagoniques. Au moins les élus municipaux faisaient-ils semblant, alors, de se préoccuper du français. Aujourd’hui, seuls comptent les intérêts des développeurs. Gatineau se réduit à toute allure à une simple extension d’Ottawa. La vision de Trudeau père se réalise.
La loi 96 proclame, sur papier, le français langue commune du Québec. Mais elle ne contient rien pour ébranler le statut de l’anglais, langue commune de facto entre anglophones et francophones. Surtout pas de nouvelle clause Québec pour incommoder de futurs Michael Rousseau. Strictement rien, quoi, pour stopper l’anglicisation de l’Outaouais. Cela fait beaucoup de sacrifiés de la bonne entente.
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