Je veux être la voix de mes sœurs emprisonnées dans les prisons d’Iran

« Après ma libération, j’ai réussi à échapper au carcan du régime et j’ai rejoint l’Europe, où je veux être la voix de mon peuple pour la liberté et l’égalité », écrit l’autrice.
Photo: Courtoisie « Après ma libération, j’ai réussi à échapper au carcan du régime et j’ai rejoint l’Europe, où je veux être la voix de mon peuple pour la liberté et l’égalité », écrit l’autrice.

Le drame que vit le peuple iranien et les raisons de sa récente envolée révolutionnaire ne datent pas d’aujourd’hui. Son combat est celui d’un grand peuple, dont les aspirations démocratiques pour la justice et l’égalité ont été étouffées depuis exactement 44 ans.

C’est en effet au cours du mois glacial de février 1979 que la révolution antimonarchiste en Iran a envoyé la dictature des Pahlavi dans la poubelle de l’histoire. À l’époque, l’espoir renaît chez les Iraniens pour bâtir un pays basé sur l’État de droit et les valeurs démocratiques et modernes. Mais le régime fondamentaliste de Khomeini monopolise très vite le pouvoir et instaure une dictature islamiste brutale, qui préside encore aux destinées de l’Iran.

La révolution de février reste pourtant vive dans la mémoire des Iraniens, car elle a montré que, lorsqu’un peuple choisit le chemin de la liberté, rien ne saurait l’arrêter ; que la volonté d’un peuple qui veut s’émanciper est plus forte que toutes les tyrannies. Pour autant qu’on soit prêt à en payer le prix élevé. C’est la voie qu’a choisie la jeunesse iranienne, qui emboîte le pas aux générations qui l’ont précédée.

Quand je regarde l’histoire de l’Iran, avec le pouvoir médiéval installé par Khomeini et ses tortures cruelles, rapportées par des résistants et des témoins de cette période, je nous considère toujours, moi et celles et ceux de mon âge, comme redevables à une génération pleine de courage. Malgré les ténèbres qui avaient à nouveau recouvert l’ensemble de l’Iran, elle a refusé de plier et, avec toute son abnégation, elle a résisté à Khomeini. C’est le flambeau que nous avons repris et que nous avons passé à la jeunesse d’aujourd’hui qui manifeste dans les rues.

Une nouvelle révolution

Les observateurs s’entendent pour affirmer que le mouvement déclenché en septembre 2022 avec la mort de la jeune Mahsa Amini a été un tournant dans le processus du délitement du régime des mollahs et que rien ne sera plus jamais comme avant. Le processus de changement est solidement engagé, bien qu’il comporte des phases d’intensité variable ; il promet une fin proche du régime d’Ali Khamenei et de ses acolytes, en particulier de ses brutaux gardiens de la révolution.

L’intensité de la répression démontre qu’une révolution douce ne suffira pas pour venir à bout de ce régime sanguinaire. Cependant, la violence d’État ne rassérène pas les autorités, la flamme de la révolte reste vive dans tous les secteurs de la société iranienne. Un secteur à la pointe du mouvement de contestation a été l’université. Depuis leur réouverture, les campus connaissent des agitations régulières, parfois filmées et diffusées sur les réseaux sociaux. Pour l’heure, les revendications restent centrées autour de la libération des étudiants détenus, mais c’est la fin de la dictature qui est le mot d’ordre général des unités de résistance.

Plusieurs de mes camarades sont aujourd’hui détenus dans les geôles iraniennes. Il y a de nombreuses jeunes femmes parmi eux, considérées comme les meneuses du mouvement. Le sort de milliers de jeunes emprisonnés reste inquiétant, puisqu’Amnesty International dénonce des tortures physiques et psychologiques inhumaines et des condamnations à mort révoltantes. Ayant subi les sévices des tortionnaires pendant mes cinq années de détention pour avoir milité contre ce régime corrompu, je peux attester des dangers que courent toutes celles et tous ceux qui sont aujourd’hui prisonniers de la machine meurtrière des mollahs. Le monde doit se mobiliser pour leur libération.

J’ai été arrêtée en février 2009 à la sortie de l’université. Rongée par l’inquiétude, ma famille m’a cherchée pendant des semaines. À l’époque, j’étudiais l’informatique à l’Université Tarbiat Moalem (Kharizmi) de Téhéran.

L’interrogatoire commençait vers 8 heures du matin et durait parfois jusqu’à minuit. À chacune des séances d’interrogatoire, j’étais battue. Ils voulaient que je dénonce en public l’organisation des moudjahidines du peuple d’Iran, un mouvement de résistance qui est la bête noire du régime clérical. Je n’oublierai jamais les longs mois d’isolement. « Personne ne peut t’entendre. Nous sommes seuls ici, et nous pouvons faire tout ce que nous voulons avec toi », me lançaient mes tortionnaires.

Je pouvais entendre régulièrement les cris d’autres prisonnières torturées ; certaines m’ont dit plus tard qu’elles avaient été violées. La seule fois où j’ai pu voir mon frère, arrêté en même temps que moi, c’est quand ils l’ont amené pour le torturer devant moi, pour me briser.

Rejeter toute dictature

Environ un an après mon arrestation, il y a eu un procès éclair de cinq minutes. Avec mon frère, nous avons tous les deux été condamnés à cinq ans de prison sous le chef d’accusation de « propagande contre l’État et atteinte à la sécurité ». Malgré toutes les pressions, je n’ai pas plié.

Après ma libération, j’ai réussi à échapper au carcan du régime et j’ai rejoint l’Europe, où je veux être la voix de mon peuple pour la liberté et l’égalité. Le dimanche 12 février, les démocrates iraniens ont organisé une grande manifestation à la place Denfert-Rochereau à Paris, en soutien au mouvement pour le changement en Iran. Pour rejeter toute forme de dictature, qu’elle soit monarchique ou théocratique.

J’ai été à leurs côtés pour appeler la France et les autres pays européens à cesser leur politique de complaisance avec les mollahs et à sanctionner la machine de répression en Iran, notamment les gardiens de la révolution, pour leurs rôles dans les récentes violences contre les manifestants. Le peuple iranien souffre et compte sur la solidarité des esprits libres du monde entier.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo