La Chine dans le collimateur

« L’objectif de la Chine était précis et sans équivoque ; influer sur le résultat des élections fédérales de 2021 pour favoriser le maintien au pouvoir d’un gouvernement minoritaire de Justin Trudeau... », soutient l'auteur.
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne « L’objectif de la Chine était précis et sans équivoque ; influer sur le résultat des élections fédérales de 2021 pour favoriser le maintien au pouvoir d’un gouvernement minoritaire de Justin Trudeau... », soutient l'auteur.

L’auteur est un ancien stratège conservateur. Il a été conseiller politique dans le gouvernement Harper ainsi que dans l’opposition.

Quand des membres du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), par devoir, voire par obligation, décident de passer outre aux règles habituelles en diffusant des informations classifiées — et qui plus est à un niveau de sécurité élevé — afin de se confier à des journalistes, c’est que l’heure est grave.

Le fait que ces personnes décident de sortir du rang pour que des renseignements confidentiels collectés, traités et colligés par leur organisation mettant en lumière un système d’ingérence de la Chine dans notre processus démocratique se rendent jusqu’aux oreilles du public est une décision qui revêt la plus haute importance.

D’une certaine façon, c’est l’ultime recours. Cela ne se produit qu’une fois qu’ont été tentées toutes les avenues possibles dans la chaîne de commandement et une fois que toutes les informations ont été présentées aux décideurs politiques. Face à un mur de silence, et à de probables et multiples tentatives pour minimiser la situation ou balayer les informations sous le tapis en tablettant leurs rapports, ces gens ont pris sur eux d’en saisir le public.

On peut imaginer que la divulgation de renseignements aussi sensibles aux médias ne peut être que la résultante d’une frustration qui a grossi au fil de longs mois d’attente, ces personnes n’ayant sans doute pas décelé la moindre intention réelle de s’attaquer au problème de la part du gouvernement de Justin Trudeau.

La divulgation de ce genre d’informations vient généralement d’une exaspération, celle de ne pas être pris au sérieux, bien que les renseignements sur l’ingérence politique de la Chine — qui ne sont pas nouveaux, il est bon de le rappeler — se renforcent, se répètent et se confirment, jusqu’à devenir une opération d’envergure où toutes les techniques et les ressources possibles sont utilisées, et ce, presque simultanément, avec un risque réel et tangible pour la sécurité du Canada.

Ultimement, ce qui est recherché avant tout par un lanceur d’alerte qui se tourne vers les médias, c’est que les choses changent et ne se reproduisent plus. Car, pour ces personnes, il y aura des conséquences. Une chasse aux sorcières est certainement en branle dans les murs du SCRS depuis vendredi matin dernier, pour dénicher le ou les informateurs à l’origine de la transmission des renseignements confidentiels. M. Trudeau lui-même n’en a pas fait mystère : il n’a pas du tout apprécié cette fuite, y voyant « certainement un signe que la sécurité au niveau du SCRS doit être révisée, je m’attends à ce que la SCRS prenne très au sérieux cet enjeu ».

Ingérence de la Chine

On aimerait qu’il prenne avec le même sérieux les informations dévoilées par le SCRS. On parle ici d’une « machine opérationnelle orchestrée » par la Chine en sol canadien selon une « stratégie sophistiquée pour perturber la démocratie au Canada », a écrit le Globe&Mail vendredi matin. Une véritable bombe médiatique, tellement puissante qu’elle a recouvert la quasi-totalité de la première page du journal. Aucune autre nouvelle ne faisait le poids, en effet, contre celle-ci.

L’objectif de la Chine était précis et sans équivoque ; influer sur le résultat des élections fédérales de 2021 pour favoriser le maintien au pouvoir d’un gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, et assurer la défaite de candidats conservateurs perçus comme hostiles à Pékin.

Le Globe&Mail y cite le SCRS, qui reprend des propos attribuables à des diplomates chinois voulant que le gouvernement conservateur puisse « mettre en péril l’éducation future [des] enfants [chinois] ». Dans leur campagne de dénigrement et des désinformations ciblés au pays, poursuit le SCRS, ils notent que le Parti libéral du Canada devient ainsi « le seul parti que la République populaire de Chine peut soutenir », rien de moins.

Dimanche, le consulat général de Chine à Vancouver a qualifié cet article de « diffamatoire et discréditant » pour la Chine. Dans un communiqué, il affirme que la Chine ne s’est jamais ingérée de quelque manière que ce soit dans les élections ou les affaires internes du Canada, et que de tels articles pourraient nuire aux relations du pays avec le Canada.

Le média Global avait déjà diffusé des informations portant sur l’ingérence alléguée de la Chine lors des élections fédérales de 2019, notamment par le biais de la mention d’une note de service dont il avait eu vent, mais sans la citer directement, car il n’avait pas eu accès aux documents. Le Globe&Mail, lui, a consulté la documentation du SCRS et relate minutieusement les techniques utilisées pour l’élection fédérale de 2021.

Les informations obtenues détaillent une stratégie en plusieurs volets utilisés par la Chine, en sol canadien : financement de candidats, désinformation, pressions sur la communauté canadienne d’origine chinoise et faux bénévoles mis au service des campagnes.

Ce qui est grave est l’apparent laisser-faire du gouvernement Trudeau dans toute cette histoire. En politique, la règle est que, lorsque des informations sont portées à votre attention — et la note de service du SCRS prouve que cela a été fait —, on s’attend à des actions concrètes de la part du gouvernement, et ce, dans un délai raisonnable. Qu’a fait le gouvernement Trudeau pour contrer cette menace ? Très peu, à mon avis, mais aussi de l’avis des membres du SCRS, qui se sont résignés à divulguer des éléments étayant cette ingérence dans le processus démocratique de notre pays.

L’inaction, le laxisme et la négligence du gouvernement de Trudeau ont également été relevés par l’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques et par l’ancien directeur du SCRS et conseilleur du premier ministre à la sécurité nationale Richard Fadden, qui exige un arrêt immédiat des actions inacceptables de la Chine.

Ne devons-nous pas aussi demander des comptes au gouvernement Trudeau ? Ce dernier, après tout, met en péril, par son inaction volontaire ou simplement indécise, notre institution la plus fondamentale, soit le processus démocratique d’élection.

Le premier ministre Trudeau a de la chance. Cette nouvelle est tombée un vendredi, journée peu propice à ce genre de révélation. Elle a fait concurrence au dépôt du rapport de la commission Rouleau, à l’aube d’une pause des parlementaires de deux semaines à Ottawa. Le gouvernement ne pourra donc pas être questionné à la Chambre des communes dans les prochains jours. Justin Trudeau s’en tire à bon compte, comme toujours.

À voir en vidéo