Les enfants migrants, entre discours xénophobe et empathie sélective

« Ces jours-ci, je me demande souvent comment les enfants qui ont migré ici interprètent le message que de nombreux politiciens leur envoient », écrit l’auteur.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir « Ces jours-ci, je me demande souvent comment les enfants qui ont migré ici interprètent le message que de nombreux politiciens leur envoient », écrit l’auteur.

L’auteur est pédiatre urgentiste et professeur agrégé à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill. Il s’implique dans le collectif Soignons la justice sociale et a écrit le livre primé Plus aucun enfant autochtone arraché. Pour en finir avec le colonialisme médical canadien (Lux éditeur, 2021).

Mes parents ont immigré au Québec dans les années 1970 de l’Asie du Sud, une région fortement touchée par le colonialisme britannique. J’ai grandi dans un foyer modeste d’un quartier ouvrier à prédominance blanche. Par principe, mais aussi faute de moyens pour faire autrement, j’ai fréquenté des écoles publiques de la Rive-Sud avant de poursuivre des études en médecine à Montréal.

Lorsque j’ai commencé l’école dans les années 1980, mes parents m’ont inscrit dans un établissement anglophone, ce qui leur permettait de bien communiquer avec le personnel scolaire. Puisque nous vivions au Québec, il était essentiel pour mes parents que leurs enfants parlent français, j’ai donc été inscrit au « programme d’immersion ». Bien d’autres parents immigrants partageaient leur point de vue.

Mes classes au primaire se déroulaient entièrement en français et étaient composées de 20 à 30 enfants, pour la plupart des allophones dont les parents avaient migré de partout dans le monde. Je garde de mes enseignantes (qui portaient majoritairement des noms de famille comme Bourassa, Gravel et Nadeau) le souvenir d’une nette impression de « bienveillance ». J’ai rarement senti que j’étais traité injustement en raison du pays d’origine de mes parents, de mon nom, des langues que je parlais ou de la couleur de ma peau.

C’est au retour de l’école que le stress montait. Je devais marcher devant une autre école primaire. J’avais des liens amicaux avec plusieurs des enfants francophones qui la fréquentaient (on jouait au hockey de rue ensemble en soirée). Il existait toutefois entre nos écoles respectives une vieille rivalité (y compris pour des raisons linguistiques) à laquelle, tout comme bien d’autres, je ne voulais pas prendre part. En tant qu’enfant, je ne comprenais pas les origines des conflits, qui prenaient à l’occasion des tournures violentes, à coups de couteau et de chaîne.

L’anxiété et la peur d’être harcelé ou blessé me forçaient parfois à faire de longs détours pour éviter de croiser le chemin des intimidateurs. À l’époque, presque tous les enfants de cette école étaient blancs. Quand des jeunes racisés comme moi passaient devant leur cour, ils étaient facilement associés à l’école anglophone. Notre couleur de peau devenait synonyme de notre langue parlée.

Même si je parlais couramment le français, on me criait tout de même « Retourne chez toi ! » alors qu’aucun anglophone blanc ne se le faisait dire. C’était très déconcertant : j’étais né à Montréal et j’avais passé toute mon enfance sur la Rive-Sud. Où étais-je censé aller ? C’était le seul « chez moi » que je connaissais.

Quel message lance-t-on ?

Lorsque je repense à ces expériences d’enfance douloureuses, je n’en veux pas aux intimidateurs qui me terrorisaient parce qu’ils me percevaient comme « l’Autre ». Je sais que les enfants calquent souvent leurs comportements sur ceux des adultes.

Certains adultes dotés de pouvoirs politique et économique semblent toutefois s’épanouir dans la création de conditions sociales permettant à la xénophobie de proliférer, notamment en normalisant les violences verbale, physique et structurelle à l’égard des personnes migrantes, surtout celles qui sont racisées et précarisées.

Ces jours-ci, je me demande souvent comment les enfants qui ont migré ici interprètent le message que de nombreux politiciens leur envoient.

Comment se sent une enfant migrante lorsqu’elle entend un dirigeant de l’opposition dire que l’immigration contribue à la « montée des extrêmes » ? Ou quand une ministre veut fermer la route — « Roxham, basta ! », répète Christine Fréchette — qui a permis de se rendre en lieu sûr au Québec ?

Quel sentiment d’appartenance est transmis à ces enfants lorsqu’un ministre affirme grossièrement que « 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise » ? Ou quand le premier ministre avance qu’accueillir plus d’immigrants serait « suicidaire » pour la nation québécoise ?

Quel message est véhiculé aux enfants des victimes du massacre de la mosquée de Québec — les six musulmans québécois tués étaient également des migrants africains — quand le premier ministre du Québec ne participe pas à l’événement de commémoration ?

Plus généralement, quel est l’impact sur tous les enfants québécois — racisés ou non, migrants ou non — d’un discours dominant xénophobe où « l’Autre » est dépeint comme une menace ou un bouc émissaire ? Quel sera l’impact social pour les générations à venir ?

Au-delà des paroles et des gestes, il y a aussi les politiques d’exclusion qui nuisent à l’épanouissement de ces enfants et, du coup, à nous tous comme société.

Faire plus, faire mieux

Rappelons que ce n’est que depuis 2017 — après des années de mobilisation — que les enfants vivant au Québec peuvent fréquenter l’école, peu importe leur statut d’immigration. Malgré cela, des douzaines, voire des centaines d’enfants migrants sont cantonnés pendant de longues semaines dans des hôtels administrés par le gouvernement fédéral à Montréal sans avoir accès à des services éducatifs.

Autre exemple : depuis 2018, les gouvernements successifs du Parti libéral du Québec (PLQ) et de la Coalition avenir Québec (CAQ) bloquent l’accès aux services de garde subventionnés pour les familles demandeuses d’asile, exacerbant ainsi leur précarité, et ce, en dépit d’une décision d’un juge de la Cour supérieure affirmant que ces familles ne peuvent pas être exclues de cette aide financière.

En tant que pédiatre urgentiste, j’ai été témoin des répercussions des politiques néfastes en matière de soins de santé qui causent de la souffrance à de nombreux enfants migrants sans assurance. Même si le projet de loi 83 a rendu, en 2021, la plupart de ces enfants vivant au Québec admissibles à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), un trop grand nombre de ces enfants migrants passent à travers les mailles du filet à cause d’obstacles et de délais administratifs inutiles.

Pourtant, nous savons que les politiques peuvent s’adapter. Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), m’explique que les mesures d’exception du Québec ont permis aux jeunes ressortissants ukrainiens d’avoir rapidement accès à l’éducation et à la RAMQ. Cela démontre que la bureaucratie et les politiques peuvent être efficaces quand on juge que c’est nécessaire.

Les enfants qu’on soumet à des politiques d’exclusion en éducation et en santé traînent déjà un lourd bagage de traumatismes en lien avec les parcours migratoires périlleux, les séparations familiales et les menaces de détention et d’expulsion qui les marqueront à vie. N’avons-nous donc qu’une empathie sélective envers les tout-petits ?

Samedi: personne n'est illégal. 

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