Pour une suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs

« Plutôt que de cesser l’immigration dite irrégulière, fermer le chemin Roxham pousserait des personnes à trouver d’autres chemins au péril de leur vie », écrit l’autrice.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne « Plutôt que de cesser l’immigration dite irrégulière, fermer le chemin Roxham pousserait des personnes à trouver d’autres chemins au péril de leur vie », écrit l’autrice.

L’autrice est professeure adjointe à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. Elle a dirigé l’ouvrage collectif Perspectives féministes en relations internationales (PUM, 2022) et a écrit le livre Perdre le Sud (Éditions Écosociété).

Le désir du premier ministre François Legault et du Parti québécois de fermer le chemin Roxham, de compétence fédérale, n’est pas une solution aux entrées migratoires sur le territoire. Il faut d’abord et avant tout que le gouvernement fédéral réforme l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs.

Selon cet accord signé en 2002, un demandeur d’asile doit demander refuge dans le « premier pays sûr » où il pose les pieds. Si cette personne arrive au Canada par voie terrestre, elle se ferait donc refouler aux États-Unis pour y faire sa demande de statut de réfugié. L’entente s’applique seulement aux entrées par un poste frontalier officiel et ne s’applique pas aux gens qui ont de la famille au pays, aux personnes mineures non accompagnées, ou si leur entrée relève de l’intérêt public.

Quelqu’un n’ayant pas de famille au Canada et n’ayant pas les moyens de faire le trajet en avion passera donc logiquement par un autre point d’entrée pour se soustraire à l’entente.

Si on ferme le chemin Roxham

Le premier ministre Legault tient dur comme fer à fermer le chemin Roxham, ce fameux chemin « non officiel » de huit kilomètres entre Champlain, dans l’État de New York, et Saint-Bernard-de-Lacolle, en Montérégie. Même si la province avait les capacités constitutionnelles de le faire, cette fermeture ne ferait que créer des chemins encore plus dangereux pour les personnes migrantes.

Plutôt que de faire cesser l’immigration dite irrégulière, fermer le chemin Roxham pousserait des personnes à trouver d’autres chemins au péril de leur vie. Traverser à pied la frontière canado-américaine à -30 °C n’est pas de tout repos. Roxham est donc un moindre mal. Les personnes migrantes se trouvent la plupart du temps en contact avec un agent frontalier canadien une fois la frontière passée plutôt que de se trouver n’importe où, à n’importe quelle température.

Bien que les autorités connaissent l’existence de ce passage « sécurisé », de nombreuses personnes migrantes ont péri au fil des années en essayant de l’emprunter. Le 4 janvier dernier, un homme a été retrouvé sans vie entre Roxham et le poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle. On peut dire que celui-ci a perdu à la « loterie de la naissance ».

Tant que l’Entente sur les tiers pays sûrs existe, peu de personnes sans papier passeront par un poste frontalier « officiel » de toute façon. Parce que s’ils le font, ils seront renvoyés aux États-Unis sur-le-champ.

En suspendant cette entente et en laissant les demandeurs d’asile passer par des points officiels sans être inquiétés, le flux migratoire entre les États-Unis et le Québec serait plus sécurisé et mieux réparti entre les provinces. Le besoin de fermer le chemin Roxham deviendrait pratiquement caduc, puisque les demandeurs d’asile pourraient entrer au pays formellement sans être renvoyés.

Bataille de longue date

Les organismes de défense des droits s’opposent depuis longtemps à cette entente. En juillet 2020, un collectif d’organisations incluant le Conseil canadien pour les réfugiés, le Conseil canadien des Églises et Amnistie internationale ont demandé à la Cour fédérale du Canada de se pencher sur la question. La cour a d’abord conclu que l’Entente était inconstitutionnelle.

La juge Ann Marie McDonald avait donné raison aux plaignants en affirmant que les provisions de la loi violaient la Charte canadienne des droits et libertés et le droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». L’entente, disait-elle, a pour effet de condamner à un séjour en prison étasunienne de nombreux demandeurs d’asile déclarés inadmissibles.

Le gouvernement canadien a porté le jugement en appel. En avril 2021, la Cour d’appel fédérale a annulé le premier jugement. Selon la cour, les conséquences négatives ne relèvent pas de l’entente, mais de son application par les autorités. La Cour suprême du Canada a depuis accepté d’entendre la cause. Le jugement devrait venir dans les prochains mois.

Les États-Unis, un pays sûr ?

La question demeure : les États-Unis sont-ils « un pays sûr » pour tout le monde ? Washington a des règles beaucoup plus strictes que le Canada en ce qui concerne l’accueil et l’hébergement des migrants, et a davantage tendance à renvoyer des demandeurs d’asile dans des conditions non sécuritaires.

Par exemple, après le refus de Washington de lui accorder l’asile en 2019, la femme transgenre de 31 ans Camila Díaz Córdova a été renvoyée au Salvador. Son assassinat quelques mois plus tard prouve de façon macabre que sa vie était effectivement en danger et qu’elle aurait dû bénéficier du statut de réfugiée.

L’ONU a également dénoncé des violations de droits de la personne dans des institutions de contrôle de la frontière américaine, notamment la séparation de milliers de familles migrantes et leur enfermement dans des prisons de fortune. L’administration Trump avait d’ailleurs voulu mettre fin à un règlement visant à limiter la détention des mineurs étrangers à 20 jours.

En octobre dernier, le premier ministre Justin Trudeau a dit être en train de renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs, pour « s’assurer que nos principes et nos valeurs » sont respectés. Rappelons que suspendre l’entente ne signifierait pas que toutes les demandes d’asile seraient acceptées, mais au moins qu’elles ne seraient pas automatiquement considérées comme inadmissibles si les demandeurs arrivent à pied par la frontière américaine.

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