Le Québec mérite un dialogue collectif sur l’éducation

Vous avez, Monsieur le Ministre de l’Éducation, fait des constats alarmants et dégagé sept « priorités » pour votre mandat. C’est un bon début, mais on ne peut que déplorer l’insuffisance de vos sources : aucune mention des rapports du Conseil supérieur de l’éducation, ni des recherches universitaires, ni des revendications des gens du terrain : syndicats, associations professionnelles, regroupements de parents, collectifs citoyens, regroupements communautaires dans le domaine de l’éducation. Autant de sources qui auraient pu justifier le choix de vos priorités.
Par ailleurs, certaines des solutions que vous proposez, M. Drainville, ont été formulées il y a belle lurette et même mises en oeuvre ici ou là. Qu’avons-nous appris de ces expériences ? L’analyse de nos échecs est aussi importante que celle de nos réussites.
Améliorer les compétencesdes élèves en français écrit
Vous vous dites étonné des faibles compétences de trop nombreux élèves à la fin du secondaire, alors qu’ils fréquentent l’école depuis onze ans et qu’ils ont, pour la majorité d’entre eux, le français comme langue première. Pourtant, les effets pervers des examens ministériels sont démontrés depuis longtemps.
Plusieurs solutions existent pour améliorer les compétences des élèves en français écrit. Faire écrire tous les jours dans toutes les disciplines ou presque ne serait-ce qu’une phrase et la faire corriger par les élèves en équipe de deux ou trois, à partir d’une grille de correction enseignée dans la classe de français. Faire du français parlé et écrit la responsabilité de tous les membres du personnel scolaire, et pas seulement des enseignants de français. Assurer la formation continue des enseignantes et enseignants du primaire et de français au secondaire, formation quasi absente depuis 20 ans.
Contrôler l’implantation des outils électroniques en classe pour qu’ils soient au service d’apprentissages disciplinaires ciblés et n’induisent pas d’effets négatifs sur les facultés cognitives (attention, mémorisation, concentration) et sur la socialisation. Faire en sorte que le document ministériel Progression des apprentissages soit connu afin d’éviter le rabâchage des mêmes notions (on enseigne l’accord de l’adjectif de la 2e primaire à la 5e secondaire, et ce, sans la moindre efficacité).
Tout cela est fort bien documenté, entre autres dans un ouvrage collectif réunissant les meilleurs spécialistes de la francophonie : Mieux enseigner la grammaire (ERPI, 2016).
Réduire le temps de formation à l’enseignement
Pour contrer la pénurie, vous proposez de revenir au certificat des années 1980… Quels universitaires ont pu vous inspirer cette fausse solution ? Comment pourrait-on en dix cours former adéquatement des personnes qui ont un baccalauréat ou même une maîtrise dans une discipline scolaire à devenir des titulaires de classe au primaire ou des enseignantes et enseignants spécialisés par exemple en français, en mathématique, en musique, en anglais langue seconde ?
Mission impossible, car il faut au minimum des connaissances en didactique disciplinaire (on n’enseigne pas le français langue première et la musique de la même façon), des connaissances pédagogiques (en gestion de classe, en évaluation des apprentissages, etc.), des connaissances sur le système scolaire québécois et les grands courants philosophiques et psychologiques qui ont influencé l’enseignement et l’apprentissage en milieu scolaire. Et, enfin, deux stages dans des contextes différents.
Certes, la maîtrise qualifiante en enseignement est exigeante, tout comme l’est la profession enseignante. On peut alléger quelque peu ce programme, ce à quoi travaillent d’ailleurs certaines facultés d’éducation.
Mais, surtout, ne faudrait-il pas d’abord travailler à retenir celles et ceux qui sont déjà dans le métier ?
Valoriser la formation professionnelle
Nous vous invitons à lire le chapitre rédigé par treize spécialistes de la formation professionnelle (FP) dans l’ouvrage Une autre école est possible et nécessaire du collectif Debout pour l’école ! (Del Busso, 2022). Ils font le bilan des dernières décennies et exposent des solutions aux problèmes qui dépassent de beaucoup la question du nombre de diplômés.
Un système performant !
De plus, nous nous interrogeons sur le sens que vous donnez à l’adjectif performant à propos du système d’éducation. Nous souhaitons un système qui soit équitable et de qualité pour tous, qui instruise, éduque et apprenne à chaque élève à penser vraiment. Cela repose au quotidien sur l’intelligence, la compétence et l’engagement des directions d’école, du corps enseignant, des autres membres du personnel scolaire, des parents et des élèves.
Vous avez choisi de ne pas ouvrir un dialogue collectif sur l’éducation. À Parlons éducation, nous pensons qu’il s’impose ; d’ailleurs, l’ampleur de l’intérêt suscité par Parlons éducation montre que la population juge cette discussion nécessaire. Puisque l’éducation est au coeur de tout projet de société, il est essentiel que les citoyennes et citoyennes du Québec viennent en toute liberté et convivialité discuter des problèmes, mais aussi proposer leurs solutions lors d’un des 19 forums citoyens au printemps 2023. Vous y êtes cordialement invité.
*Ont aussi signé ce texte :
Jean Bernatchez, politologue et professeur-chercheur à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Priscilla Boyer, didacticienne du français, ex-directrice des programmes en adaptation scolaire et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
Christiane Blaser, didacticienne du français et professeure responsable de la formation pratique de la maitrise qualifiante de l’Université de Sherbrooke
David Lefrançois, professeur en sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais (UQO), responsable du comité local de parlons éducation
Claude Lessard, professeur émérite de l’Université de Montréal, ex-doyen de la Faculté des sciences de l’éducation et ex-président du Conseil supérieur de l’éducation
Denis Simard, philosophe de l’éducation et professeur titulaire de l’Université Laval
Isabelle Nizet, spécialiste en évaluation des apprentissages et professeure titulaire associée au département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke
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