Quand le gouvernement fédéral redéfinit l’excellence

Jusqu’à présent, les bourses de recherche de premier cycle étaient attribuées à des étudiants ayant obtenu des notes très élevées, précise l’auteur.
Getty Images Jusqu’à présent, les bourses de recherche de premier cycle étaient attribuées à des étudiants ayant obtenu des notes très élevées, précise l’auteur.

L’auteur est professeur de littérature à Montréal, rédacteur en chef de la revue Argument et essayiste. Il a notamment publié Ces mots qui pensent à notre place (Liber, 2017) et La prose d’Alain Grandbois. Ou lire et relire Les voyages de Marco Polo (Nota bene, 2019).

Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) vient de revoir les critères d’attribution de ses bourses de premier cycle. Attribuées jusqu’à présent à des étudiants de premier cycle ayant obtenu des notes très élevées afin qu’ils puissent s’initier à la recherche durant l’été, ces bourses BRPC (bourses de recherche de premier cycle) pourront également être désormais accordées à des étudiants noirs ou autochtones sans que soient apparemment pris en compte dans leur cas de tels critères d’excellence.

Pire, on peut lire en toutes lettres sur le site du CRSNG : « Au CRSH [Conseil de recherches en sciences humaines] et aux IRSC [Instituts de recherche en santé du Canada], les BRPC sont actuellement réservées aux étudiantes et étudiants chercheurs noirs. » Après les chaires de recherches du Canada interdites aux hommes blancs, voici donc les bourses attribuées sur critères raciaux !

Certains y verront peut-être un progrès et clameront que la diversité est un atout en recherche, qu’elle permet d’améliorer grandement la capacité des chercheurs à diversifier leurs approches et à ne pas y laisser persister toutes sortes de biais ou d’angles morts. Très bien. Mais pourquoi alors s’en tenir à la seule couleur de peau et promouvoir uniquement les « étudiantes et étudiants chercheurs noirs » ? La notion de diversité devrait en ce cas englober bien d’autres critères que la « race » supposée : par exemple, l’origine nationale, l’origine sociale, le parcours professionnel et scolaire, etc.

On peut donc y voir plutôt une volonté hypocrite de la part des organismes subventionnaires fédéraux de gonfler artificiellement le nombre de chercheuses et de chercheurs noirs au sein des universités et des autres organismes qui font de la recherche.

Pourquoi « hypocrite » ? Parce qu’un tel critère racial laisse entendre qu’aucun Noir ne pourrait obtenir cette bourse sur la seule foi de ses notes, ce qui est terriblement insultant, voire profondément raciste. De plus, cela ne pourra avoir comme conséquence désastreuse que d’attirer la suspicion à l’avenir sur tous les boursiers noirs, qu’ils aient ou non obtenu ces bourses grâce à l’excellence de leurs résultats. C’est un des effets pervers parmi les plus évidents de toute discrimination positive, surtout quand elle est pratiquée de façon aussi grossière. L’autre étant de susciter la rancoeur compréhensible de tous ceux qui n’auront plus accès à ces bourses parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau.

Agir en amont

Pourquoi « artificiellement » ? Parce que si, effectivement, il y a peu de chercheurs noirs dans ces domaines, c’est en amont qu’il faut agir si l’on veut changer réellement les choses ; en améliorant par exemple l’éducation dispensée dans toutes les écoles, dans tous les quartiers, en permettant également un meilleur accès aux études universitaires. La discrimination positive entend toujours faire l’économie de toute réforme sociale d’envergure en adoptant, en aval, des mesures cosmétiques destinées à masquer les inégalités qui perdurent et auxquelles elle sert en quelque sorte d’excuse, voire d’alibi.

Car il est évidemment plus facile, et surtout moins coûteux, de promouvoir arbitrairement quelques membres des minorités que d’essayer de faire en sorte que, dans notre société, chacun, quelle que soit son origine sociale ou la couleur de sa peau, ait les mêmes chances d’atteindre l’excellence en acquérant des compétences de haut niveau.

À moins évidemment qu’on ne veuille redéfinir tout simplement le sens du mot « excellence ». Là encore, il est en effet plus facile de changer les définitions des mots que de modifier la réalité.

À ce sujet, un énoncé programmatique tiré du site Internet de l’Université d’Ottawa peut nous mettre la puce à l’oreille. « [P]our continuer à rivaliser avec les autres grandes universités de recherche, stipule-t-il, l’Université d’Ottawa doit établir une stratégie de recrutement concurrentielle et complète pour l’embauche des professeurs autochtones. […] Une telle stratégie, ajoute cet énoncé, fera en sorte que l’Université continuera de figurer parmi les chefs de file en recherche. » On comprend donc que le recrutement de professeurs autochtones est nécessaire pour que cette université maintienne son excellence dans le domaine de la recherche.

Mais ce qu’on ne comprend pas, c’est pour quelle raison l’embauche de chercheurs autochtones offrirait une telle garantie. L’explication est donnée dans deux autres phrases du même énoncé : « Cette stratégie est directement liée au financement national de la recherche, puisque les trois conseils s’intéressent de plus en plus à la recherche axée sur les Autochtones, dirigée par des universitaires autochtones en partenariat avec les communautés autochtones. Pour que l’Université ait accès à ces types de fonds de recherche, elle doit accroître son nombre de chercheurs autochtones. »

Ainsi, la boucle est bouclée : dans l’université « concurrentielle » d’aujourd’hui, une recherche « excellente », c’est une recherche qui reçoit du financement ; un « excellent » étudiant chercheur, c’est un étudiant qui obtient une bourse de recherche ; et ce, évidemment, quels que soient les critères qui permettent l’obtention (ou le refus) de ces subventions et de ces aides. L’argent du fédéral garantit cette nouvelle définition de l’« excellence », et peu importe que celle-ci soit complètement tautologique.

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