Science en souffrance

«Alors que l’industrie vit une réelle mutation avec l’arrivée des objets connectés et de l’intelligence artificielle, les cégeps enregistrent une désertification inquiétante des filières technologiques en génie», affirme l’auteur.
Marie-France Coallier Archives Le Devoir «Alors que l’industrie vit une réelle mutation avec l’arrivée des objets connectés et de l’intelligence artificielle, les cégeps enregistrent une désertification inquiétante des filières technologiques en génie», affirme l’auteur.

Partout dans le monde, les systèmes éducatifs passent par des turbulences inouïes. Dans la mouvance des réformes, on fait circuler au Québec l’idée de regrouper l’enseignement des langues en donnant à la même personne enseignante la charge d’enseigner les diverses langues (français, anglais, espagnol…). Elle se verra alors forcée de faire une mise à niveau pour maîtriser ces langues, puis s’arrangera pour répartir le volume horaire alloué aux différentes langues de manière appropriée dans son enseignement.

L’idée est ridicule et inadmissible, me diriez-vous ! Pourtant, c’est ce qui se passe avec le cours de Science et technologie (ST) depuis des années. Le programme de ce cours fusionne diverses disciplines très distinctes : physique, chimie, biologie, science de la terre et technologie ! Aujourd’hui, la structure de ces cours pourrait être à l’origine de la réticence des élèves à emprunter les voies technologiques et les filières de génie et des sciences aux cégeps et à l’université.

Les cégeps constituent pourtant un système original et très intéressant. Le Québec ne fait toutefois pas assez d’efforts pour l’exporter, alors que cette structure pourrait s’avérer optimale pour divers pays encore à la recherche d’une harmonisation et d’une adéquation entre le scolaire, l’universitaire et la formation professionnelle. Alors que l’industrie vit une réelle mutation avec l’arrivée des objets connectés et de l’intelligence artificielle, les cégeps enregistrent une désertification inquiétante des filières technologiques en génie.

Une multitude d’études, d’initiatives et de ressources ont été mobilisées pour comprendre ce phénomène et proposer des façons concrètes d’y remédier. L’inquiétude trouve également une source dans la faible présence des filles dans les filières scientifiques et technologiques. Des actions de sensibilisation, des activités incitatives, des projets interordres, tout est mis en oeuvre pour favoriser l’orientation des jeunes vers les filières scientifiques et technologiques.

Le rapport de la Chaire de recherche sur l’intérêt des jeunes à l’égard des ST en 2015 laisse voir le malaise qui peut être à l’origine de cette problématique d’attractivité des sciences et de la technologie dans le choix des orientations des jeunes. Le rapport « L’intérêt pour les sciences et la technologie à l’école » montre particulièrement du doigt la décroissance continue de l’intérêt des élèves pour les ST au fil des années de l’enseignement secondaire.

À l’opposé, le rapport montre que leur intérêt pour les ST hors de l’école est globalement élevé. Il va même croissant au fil des années de l’enseignement secondaire. Les élèves considèrent, entre autres, que les ST sont utiles pour eux ; ils se disent intéressés par les documentaires scientifiques à la télévision ou des informations scientifiques sur le Web ; ainsi qu’à apprendre des choses en ST, même si ce n’est pas demandé par leurs enseignants

Un intérêt pour les ST hors de l’école, donc, mais un désintérêt pour les programmes de l’école qui s’y intéressent ! Voilà un intrigant paradoxe qui pourrait bien être à l’origine de la réticence de certains étudiants à l’égard des filières scientifiques et technologiques en enseignement supérieur.

Il faut savoir que ce cours a une structure bien singulière. Il est constitué de la fusion de diverses disciplines à la fois : physique, chimie, biologie, sciences de la terre et applications technologiques.

Il est clair que la personne apprenante se trouvera déstabilisée quand, dans le même cours, un jour, on traitera des lois de la physique basées sur des connaissances procédurales et des règles mathématiques, puis, le lendemain, on consacrera le cours à la description du corps humain sur la base de connaissances essentiellement déclaratives. Ce passage en force pour regrouper différentes disciplines crée une confusion et une vision nébuleuse des sciences qui va desservir l’élève lorsqu’il devra choisir son orientation.

Le problème ne se limite pas à la personne même des élèves, mais s’étend aussi à la charge de travail du corps enseignant appelé à jongler entre trois ou même quatre domaines parfois très distincts qu’il n’a jamais eu l’occasion de maîtriser de manière équivalente, la tâche étant trop ambitieuse à réaliser durant les années de formation universitaire. La confusion va plus loin, car elle a même entraîné des erreurs flagrantes sur des sujets d’examen ministériel pour cette matière.

Le cumul de ces différentes disciplines dans un même cours nécessite de longues heures hebdomadaires, même si la personne enseignante se montre habile dans l’animation de sa classe. Un horaire aussi chargé est déjà une source d’ennui pour la plupart des élèves, ce qui est loin de rendre ces disciplines attirantes.

Pour revenir à la problématique des filières technologiques, il est important de continuer les différents projets en cours pour faciliter la sensibilisation et la motivation des élèves à emprunter ces filières. Toutefois, il est aussi prioritaire de prendre en compte la situation du cours de ST au niveau secondaire, qui constitue la source à la base de cette problématique.

Il semble difficile de comprendre, en effet, le choix de regrouper plusieurs disciplines sous ST, d’autant plus que, pour la quasi-totalité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des pays francophones, ces disciplines sont bien séparées et plus riches en contenu.

Néanmoins, c’est toujours ces différences qui distinguent ce merveilleux Québec, tout comme la particularité du choix des plaques d’immatriculation sur les voitures. Les ingénieurs du monde ont prévu une place sur le devant des voitures pour placer une plaque d’immatriculation afin de faciliter l’identification des véhicules. Le Québec, lui, a opté pour supprimer cette plaque, et on ne sait pas encore pourquoi !

À voir en vidéo