J’attends l’amour, cet élan élémentaire et terrifiant

« Si je m’arrête et que je ne fais rien, puis-je encore m’attendre à ce que le collectif soit en mesure de prendre soin de moi, simplement parce que je suis là ? », se demande l'autrice.
Photo: Istock Montage Le Devoir « Si je m’arrête et que je ne fais rien, puis-je encore m’attendre à ce que le collectif soit en mesure de prendre soin de moi, simplement parce que je suis là ? », se demande l'autrice.

Dans ses chroniques, notre collaboratrice Nathalie Plaat en appelle à vos récits. En janvier, elle vous a demandé ce que vous attendiez en 2023, sans flafla, au sens le plus littéral du terme. La rubrique « Des nouvelles de vous » offre un aperçu de vos réponses.

Avant toute chose, quelques mots sur moi pour vous permettre de comprendre d’où je vous parle. Je suis une femme de 34 ans, en couple depuis deux ans presque et demi. Je fais un doctorat dans une science humaine très baroque du nom de musicologie, en plus d’être chargée de cours au collégial et travailleuse autonome dans le milieu artistique.

Comme toutes mes consoeurs avec une trajectoire similaire, je cumule une quantité absurde de projets qui, quand on me les a présentés (ou que je me les suis inventés toute seule comme une grande), ont d’abord suscité chez moi un accès d’enthousiasme ; celui-ci se solde presque toujours par un grand moment de « mais à quoi j’ai pensé, calvaire ».

Et pourtant, je persiste, je persévère, parce que je suis une performante, depuis toujours. Performante dans les études, au travail, dans mes relations, sur le grand marché du dating à une époque maintenant révolue, Dieu merci, dans mes loisirs — je me souviens encore des yeux écarquillés de ma psy lorsque je lui ai dit, à 29 ans, que je commençais à prendre des cours de ballet sur pointes : mais pourquoi tu t’infliges ça ?

On comprendra donc que m’arrêter et ne rien faire que recevoir ce que la vie a à m’offrir n’est pas un de mes passe-temps réguliers. En toutes choses, je suis PRO-ACTIVE, mouvements de cheerleader à l’appui. Mais j’essaie tout de même de cultiver une certaine manière d’être qui me permet, de temps à autre, de lâcher prise sur cette proactivité, sur cette fuite en avant.

Si je m’arrête et que je ne fais rien, que puis-je espérer recevoir ? Une si belle question qui aboutit, à ma grande surprise, à une réponse d’apparence on ne peut plus niaiseuse : l’amour. Avouez que vous aussi, ça sonne cringe à vos oreilles. Peut-être parce que l’amour est à la fois élémentaire et terrifiant. Élémentaire parce qu’il est à la base de notre être-au-monde, du soin qui nous a été donné pour que nous puissions devenir. Terrifiant parce que, devenues adultes, nous le percevons comme trop grand pour être vrai, comme un absolu qui ne se rend accessible qu’aux plus méritantes.

C’est l’aboutissement d’une course à obstacles de calibre olympique, que nous sommes par ailleurs toujours menacées de nous faire enlever. Amour de soi au terme d’années de thérapie, d’activité physique régulière, de méditation pleine conscience, d’alimentation saine et variée, de consommation sans déchet. Amour des autres au terme d’innombrables sorties dans les cafés et les bars, de temps de qualité, de tractations relationnelles et sexuelles, de charges mentales et émotionnelles mal réparties.

Et pourtant. Tu n’as pas à travailler fort pour qu’on t’aime. Une phrase que m’a dite ma thérapeute une fois et qui continue de résonner fort, tellement que je me fais un point d’honneur de la répéter à mes amies chaque fois qu’elles se retrouvent à fréquenter des morons qui se disent eux-mêmes « difficiles à aimer » (roulement des yeux vers l’intérieur de ma tête). Si je m’arrête et que je ne fais rien, je peux encore compter sur la présence aimante de mon chum, de mes amies, de ma famille. Si je ne fais rien, on m’aime encore — et si on ne m’aime plus, franchement, tant pis (pour être honnête, j’aimerais être aussi catégorique dans la pratique qu’en théorie).

Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas appliquer cette possibilité de l’amour gratuit à échelle collective ? Si je m’arrête et que je ne fais rien, puis-je encore m’attendre à ce que le collectif soit en mesure de prendre soin de moi, simplement parce que je suis là ? Le spectacle de notre système public qui se délite est on ne peut plus désolant : nous sommes en train de laisser s’effondrer notre capacité collective à nous occuper les uns des autres, en santé physique et mentale, en éducation, sur le plan environnemental.

Et pourtant, je veux encore croire que notre existence est suffisamment précieuse pour que nulle n’ait à faire ses preuves, à démontrer sa valeur et à prouver qu’elle est une citoyenne-contribuable-travailleuse-consommatrice suffisamment performante pour qu’on lui porte attention. Nous sommes là, et c’est tout ce qui devrait compter.

D’autres voix, d’autres attentes

« Il est essentiel d’accepter de recevoir ce que la vie nous offre. Je ne suis pas ce que j’aurais voulu être, mais en acceptant d’être ce que je suis, j’ai réussi à me composer une vie harmonieuse. Cela demande toutefois un certain effort, un travail sur soi afin de se donner les coups de pied nécessaires à l’agissement. De l’action ainsi enclenchée, nous aurons plus de chance de devenir plus “conséconscients”. »
Michèle Hudon, Québec

« J’attends de la vie qu’elle me transporte. Autant celle qui m’entoure que celle qui me parle de l’intérieur. […] J’attends de la vie qu’elle me guide, tout simplement, sans que j’aie rien d’autre à faire que de la regarder, de la sentir, de la toucher, de la goûter et de l’entendre. De l’aimer, quoi ! »
Serge Rioux, Saint-Bruno

« J’ai maintenant 82 ans et, depuis cinq ans, j’ai terminé, selon le langage courant, la durée de ma vie utile. Les circonstances font que je vis seul dans un logement où beaucoup d’autres, comme moi, attendent… la mort. Ce n’est plus le cas pour moi. […] J’ai pris conscience que ma génération était passée de la certitude que le monde a été créé en une semaine à la possibilité qu’il soit en évolution ou en destruction. C’est une adaptation fulgurante qu’elle n’a pas eu le temps de digérer, si bien qu’elle cherche encore la sérénité dans ce bouleversement des états d’âme. »
Maurice Villeneuve, Québec

« J’attends des moments de paix pour vivre l’humanité de notre existence. Les yeux des enfants sont “purs comme le clair des lunes”, disait le poète Émile Nelligan. Cette image de douceur me hante. Les armes et la guerre se lèvent en antithèse. »
Lynda Grenier, Otterburn Park



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