David et Goliath à l’heure de l’affaire Elghawaby

« Il semblerait que les propos passés d’Amira Elghawaby, la représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie nommée par Justin Trudeau, aient suscité l’inconfort des gens au Québec. », observe l'auteur.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne « Il semblerait que les propos passés d’Amira Elghawaby, la représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie nommée par Justin Trudeau, aient suscité l’inconfort des gens au Québec. », observe l'auteur.

Je suis un Québécois blanc francophone. Je me suis longtemps battu pour la souveraineté du Québec et pour défendre la langue française. Le Québec contre les colonisateurs anglais qui nous ont vaincus lors de la Conquête, puis opprimés depuis. Car quand il s’agit de David contre Goliath, je prends naturellement pour David. Mais il y a 19 ans, j’ai rencontré mon mari, et j’ai compris que les rôles de David et de Goliath sont une question de perspective.

Mon mari est un Inuk du Labrador. Il parle anglais et quelques mots d’inuktitut, ce qui aurait dû être sa langue — les colonisateurs ont été efficaces au Labrador. Feu son père, un vieux trappeur, a vu de ses propres yeux ce que ça fait aux terres et aux eaux quand Hydro-Québec finance un barrage comme celui de Churchill Falls ; c’est laid. Notre mariage est interculturel et nos vécus, très différents. J’ai dû découvrir le long inconfort d’apprendre ce qu’est vraiment le racisme. Qui est David, qui est Goliath.

Le racisme est une structure de pouvoir imbriquée dans la société. Cette structure assure la place du groupe dominant sur un territoire, de Goliath. Chaque personne interagit avec cette structure, la subit ou l’alimente, qu’elle s’en rende compte ou non. En fait, le beau jeu du racisme comme structure de pouvoir, c’est d’y faire contribuer même des gens bien intentionnés qui n’ont aucune idée que leurs attitudes, paroles ou gestes nourrissent la bête. Des gens en général blancs, comme moi.

J’ai dû prendre conscience des mécanismes réels du racisme et désapprendre les angles morts qui cachent quand j’y contribue sans le savoir. C’est inconfortable et ça exige une humilité que je n’avais pas. Mais mon mari s’en est chargé. Taquiner ses proches fait partie de la culture inuit. Des niaiseries que j’ai dites qu’il a virées au ridicule, il y en a eu beaucoup — il y en a encore, d’ailleurs. Il le fait parce qu’il m’aime.

Quand un groupe d’Inuit vous connaît et que personne ne vous taquine, on ne vous y aime peut-être pas. Ce n’était pas mon cas, et mon mari a fait un boulot remarquable pour m’inoculer une bonne dose d’humilité et de capacité à me remettre en question sur ce qui touche au racisme et au colonialisme. Ça lui a demandé aussi une patience qu’il ne me devait aucunement.

Entendons-nous : je ne crois pas à la nécessité de s’autoflageller en tant que personne qui jouit du « privilège » d’être traité comme on devrait traiter tout le monde. Cela étant dit, l’autoflagellation n’est en général pas ce que nous demandent les groupes racisés. Ils nous demandent plutôt de tolérer l’inconfort qui accompagne le fait de se remettre en question.

Il semblerait que les propos passés d’Amira Elghawaby, la représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie nommée par Justin Trudeau, aient suscité l’inconfort des gens au Québec. Un inconfort qu’on trouve intolérable.

Il s’en est déchiré des chemises, ces derniers jours, pour les mots suivants : « la majorité des Québécois sont [guidés] par un sentiment antimusulman ». Une chance que Mme Elghawaby n’a pas carrément dit que les Québécois sont racistes : on se serait ouvert la cage thoracique au complet ! Mais l’outrage demeure un moyen pour esquiver l’inconfort de la remise en question.

Car à l’ère de la loi 21 sur la laïcité de l’État et de François Legault, qui évite la commémoration des victimes de la grande mosquée de Québec, la question de fond demeure : dans quels angles morts se cachent ces attitudes — tant ordinaires que celles du pouvoir — qui nourrissent l’islamophobie ici ? Car, qu’on parle des peuples autochtones ou des communautés musulmanes face au reste du Québec, on ne doit pas se leurrer sur qui est David et qui est Goliath.

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