Notre système de santé est malade

« La pandémie a mis en évidence les carences de notre système de santé, notamment par la surcharge des urgences et des soins intensifs », soutient l'autrice.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir « La pandémie a mis en évidence les carences de notre système de santé, notamment par la surcharge des urgences et des soins intensifs », soutient l'autrice.

La pandémie a mis en évidence les carences de notre système de santé, notamment par la surcharge des urgences et des soins intensifs. Andrée Simard, épouse de l’ex-premier ministre Robert Bourrassa, est décédée dans un hôpital montréalais sans avoir pu bénéficier de soins palliatifs adaptés à sa condition de santé, ce qui a suscité des critiques acerbes à l’égard de notre système de santé. Combien de personnes meurent au Québec sans avoir reçu des soins palliatifs ou des soins de confort parce que notre système est surchargé et désorganisé ? L’urgence de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont le démontre actuellement, par la prise de parole des infirmières qui refusent de faire des heures de travail supplémentaires obligatoires (TSO).

Il y a d’abord un problème de ressources financières et humaines. En ce qui concerne les ressources financières, les hôpitaux ne reçoivent pas des budgets leur permettant de répondre adéquatement aux besoins des usagers. Sachons que les médecins sont payés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ils ne sont pas des employés des établissements de santé. Par contre, tous les autres professionnels de la santé qui travaillent en milieu hospitalier sont des employés de l’établissement.

Ne cherchons pas pourquoi il n’y a pas de psychologues ni de physiothérapeutes en nombre suffisant en milieu hospitalier, ni pourquoi le ratio infirmière/patients a augmenté au cours des ans, comme les emplois à temps partiel. Les infirmières du système public en ont assez du TSO, qui est associé à plus d’absences, à plus de congés de maladie et à plus d’erreurs de médication et d’autres types d’erreurs. En fait, elles sont épuisées quand elles font du TSO qui correspond à deux quarts de travail de huit heures, ce qui constitue 16 heures de travail consécutives. Le recours au TSO est devenu au fil des ans un mode de gestion. Dans aucune autre profession, on n’accepterait de telles conditions de travail.

Nombreuses sont les infirmières qui souffrent de détresse morale, ce qui a fait l’objet de multiples études dans maints pays. Elles veulent bien faire et répondre adéquatement aux besoins des patients dont elles ont la responsabilité, mais elles en sont empêchées par des contraintes administratives et institutionnelles. Quand une infirmière a trop de patients à sa charge, elle n’arrive pas à mettre en application ce qu’elle a appris, c’est-à-dire répondre aux besoins selon une approche globale de soins.

Le cas de Mme Simard n’est pas isolé. Je me rappelle une infirmière d’urgence qui n’avait pas eu le temps de s’occuper d’une dame mourante accompagnée de son mari. Cette infirmière a été profondément perturbée quand elle s’est rendu compte du décès de la dame, qui n’avait pas eu les soins requis par son état de santé. Ça l’avait incitée à s’inscrire à un cours d’éthique.

Cependant, ce n’est pas suivre un cours ou changer une responsable de la répartition, donner des primes ou augmenter les salaires, investir massivement dans la rénovation ou la construction de nouveaux hôpitaux qui améliorent les conditions de travail. En fait, un des facteurs de la détresse morale chez les infirmières vient du sentiment de ne pouvoir rien changer à la situation traumatisante qui se répète continuellement depuis des années.

C’est pourquoi des infirmières se concentrent sur les soins physiques et sur les techniques en négligeant les aspects psychosociaux qui exigeraient plus de temps. Certaines changent d’établissement pour éviter le TSO, d’autres quittent le Québec pour l’Ontario, les États-Unis ou la Suisse, et d’autres encore quittent carrément la profession.

Ces problèmes ne sont pas faciles à régler. Il est sûr que les budgets hospitaliers pourraient être augmentés, ce qui encouragerait les hôpitaux à engager plus de personnel, abaissant ainsi les ratios infirmière/patients. À cet effet, les transferts en santé venant du fédéral, qui ont déjà partagé les coûts en santé à hauteur de 50 % et qui sont autour de 26 % actuellement, pourraient aider à résoudre le problème. À cet égard, le 35 % réclamé par les provinces n’est pas exorbitant. Par ailleurs, les hôpitaux privés ne sont pas une solution, puisqu’ils sont interdits par la Loi canadienne sur la santé ; l’Alberta en a déjà payé le prix, avec une baisse des paiements de transfert.

Du point de vue de la gestion, une récente entente syndicale oblige les hôpitaux à engager à temps complet 80 % de son personnel infirmier qui travaille aux urgences et 70 % du personnel infirmier qui travaille dans d’autres domaines de la pratique hospitalière. L’avenir dira si ces postes sont plus attractifs que les agences privées, auxquelles les établissements font appel pour combler le manque de personnel.

Par ailleurs, des hôpitaux ont trouvé des moyens d’éviter le TSO en offrant aux infirmières la possibilité de faire des quarts de travail de 8 heures et de 12 heures, en accordant plus de congés à celles qui acceptent de faire des quarts de 12 heures. Cela dit, c’est la structure de notre système de santé qui est à modifier. Notre système est centré sur l’hôpital, et les urgences sont la porte d’accès à tout type de services.

Notre système de santé a besoin de décentralisation en vue de développer de meilleurs services de proximité, des soins à domicile et des services communautaires adaptés aux besoins, notamment aux besoins des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, de ceux qui ont besoin de soins prolongés, de réadaptation ou simplement de soins palliatifs à domicile. La Suède est un modèle en la matière.

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