Le Convoi de la liberté, le populisme et la culture politique québécoise

Si l’on accepte la définition du populisme formulée en 2004 par le politiste Cas Mudde comme étant « une idéologie qui considère que la société est séparée en deux groupes homogènes et antagonistes, le peuple pur et l’élite corrompue, et qui soutient que la politique devrait être une expression de la volonté générale du peuple » (comme cité par Pascal Perrineau dans son essai Le populisme, PUF), je demeure convaincu qu’il n’y a pas, pour l’heure, de vrai danger de résurgence d’un populisme dans le paysage politique au Québec. Mais nous devons rester vigilants quant à une possible contamination populiste portée par le discours du Parti conservateur du Québec (PCQ) dans les années qui viennent.
La rhétorique populiste la plus prégnante reste en effet celle d’Éric Duhaime, chef du PCQ. Mais cette rhétorique qui avait trouvé, pendant la période électorale, une prise avec l’idéologie antiscientiste et les discours contre les mesures sanitaires en période de pandémie a perdu de sa force de contagion populiste avec la fin de la pandémie. D’ailleurs, Éric Duhaime n’a pas repris son discours contre les mesures sanitaires depuis l’élection du 3 octobre dernier.
J’ai apprécié la distinction suggérée par le professeur de sociologie Jean-François Côté entre « tendances populistes » et « mouvement populiste organisé » dans son Devoir de philo publié le 8 octobre dernier. Par exemple, le Convoi de la liberté, opération d’occupation du centre-ville d’Ottawa organisée à l’hiver 2022 par des camionneurs canadiens, québécois, voire américains (États-Unis) — opération qui s’est étendue à d’autres villes du Canada (Windsor, Ontario ; Coutts, Alberta) et a même engendré un blocage momentané de certaines frontières entre le Canada et les États-Unis —, qui est restée, selon moi, un événement politique non négligeable, mais quand même éphémère.
Ces actions des camionneurs réclamaient la fin des mesures sanitaires liées à la COVID-19 ; elles ont pris aussi la forme d’un mouvement antigouvernemental et anti-Trudeau ; elles réclamaient la « liberté du peuple », etc. Ces paroles de revendication émergeaient dans un contexte d’isolement social extrême. C’est là l’expression publique de véritables « tendances populistes » enfouies. Mais il me semble que nous sommes encore loin d’un mouvement populiste organisé comme peut l’être en France, par exemple, le Rassemblement national de Marine Le Pen, véritable parti politique ayant son histoire, son idéologie, son organisation hiérarchique, etc.
Bien sûr, ces manifestations anti-establishment peuvent susciter une certaine inquiétude. On peut y voir un « signal faible » qu’il ne faudrait surtout pas négliger, mais nous sommes encore loin d’un mouvement politique organisé. Chose certaine, il faut suivre attentivement, en 2023 et dans les quatre années à venir, le développement organisationnel, politique et idéologique du Parti conservateur du Québec et celui du Parti conservateur du Canada.
Devant l’apparente arrogance actuelle du gouvernement Legault en même temps que la paralysie relative des partis d’opposition (autant le Parti libéral du Québec que Québec solidaire et le Parti québécois) en matière d’augmentation significative du nombre de leurs adhérents, il n’est pas exclu que ce soit le Parti conservateur du Québec qui augmente le plus le nombre de ses adhérents d’ici la prochaine élection provinciale.
La rhétorique populiste exprime en effet une frustration enfouie et justifiée dans la population québécoise et canadienne à l’égard des élites gagnantes de la mondialisation. Dans un contexte de crise de la représentation politique, d’une « érosion de la sphère civile », pour reprendre les mots de Jean-François Côté, et d’un manque de confiance à l’égard de ses leaders, il deviendrait inquiétant de voir la rhétorique populiste d’un Éric Duhaime ou d’un Pierre Poilievre contaminer progressivement la culture politique québécoise.