René Chaloult, le drapeau québécois et moi

Le 26 janvier dernier, l’historien Alexandre Dumas a critiqué dans Le Devoir une chronique de l’historien Frédéric Bastien parue dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec. Celle-ci se fondait sur mon témoignage quant au rôle de René Chaloult lors de l’adoption du fleurdelisé par Duplessis. Dumas utilise plusieurs arguments fallacieux pour attaquer ma crédibilité et celle de M. Bastien.
Il écrit d’abord qu’au moment des faits, je n’avais que 13 ans. Il affirme ainsi que je n’y connais rien et ne ferais que colporter des rumeurs de bas étage. Or, au début de ma vingtaine, j’ai rencontré Gérald Martineau, un proche de Duplessis, et je suis devenu un de ses confidents. Il m’a même octroyé la première bourse de la fondation « Maurice Duplessis », dont il était le président. C’est un fait vérifiable. J’ai également rencontré à quelques reprises Duplessis lui-même et j’ai aussi été député sous Daniel Johnson. Plusieurs personnes encore vivantes peuvent témoigner du rôle que j’ai joué à l’époque.
Ces précisions faites, abordons le coeur de l’affaire, le fait que Chaloult ait reçu de l’argent pour faire semblant de faire pression sur Duplessis afin qu’il dote le Québec d’un drapeau distinctif. Dumas affirme que Duplessis n’aurait pas eu à le soudoyer, car il aurait ainsi payé un député indépendant pour défendre sa propre cause. Or, le fait est qu’en 1960, au cours d’une de mes nombreuses rencontres avec Gérald Martineau, il m’a montré un chèque de plus de 30 000 $, une somme considérable à l’époque, qui avait été encaissé par Chaloult.
Duplessis craignait, lors de l’adoption du drapeau, la réaction des médias du Canada anglais, lesquels étaient lus par les investisseurs américains au Québec. Voilà pourquoi il a demandé à Chaloult de le talonner en chambre sur l’adoption d’un drapeau québécois. Il voulait avoir l’air d’avoir cédé aux demandes de l’opposition. Dumas dit de cette stratégie qu’elle n’a aucun sens. On peut discuter de son bien-fondé. Sauf que c’est bel et bien ce que Duplessis a fait. Je le tiens de M. Martineau lui-même. M. Dumas ne peut rejeter du revers de la main mon témoignage direct des événements sous prétexte qu’il lui semble que Duplessis n’aurait pas eu une stratégie aussi mauvaise.
Par ailleurs, comme bien d’autres politiciens de l’époque, y compris Duplessis, Chaloult buvait et avait des problèmes d’argent. Martineau était capable d’aider un adversaire devenu un ami pour l’adoption du drapeau. Certes, l’Union nationale (UN) et M. Chaloult ont été à couteaux tirés lors du premier gouvernement unioniste, mais l’animosité a justement disparu lors de l’adoption de ce fameux drapeau, car Chaloult militait depuis longtemps en faveur d’un étendard national. Par la suite, d’ailleurs, l’UN n’a pas présenté de candidat contre lui lors des élections de 1948 et de 1952, signe évident d’une réconciliation.
M. Dumas affirme plutôt de son côté que Chaloult et Duplessis ont toujours été des adversaires, et ce, pour me faire un procès d’intention. Le but de mon témoignage ne serait pas d’apporter un éclairage nouveau sur l’adoption du drapeau, mais de salir de façon inélégante un opposant politique aujourd’hui décédé. Frédéric Bastien, quant à lui, serait coupable de me donner la parole pour que j’accomplisse ce sombre objectif.
René Chaloult s’était donné tout le mérite pour l’adoption du drapeau dans un article de journal écrit quelques années après les événements. Il ne racontait pas, évidemment, les tractations avec Duplessis et, surtout, évitait de parler de l’aide reçue. En 1960, j’ai discuté des prétentions de Chaloult avec M. Martineau, et ce dernier ne voulait pas ébruiter l’affaire pour ne pas salir le drapeau.
Au cours de mon entrevue avec M. Bastien, celui-ci m’a fait observer que Chaloult parlait de son rôle à propos du drapeau dans ses mémoires. C’est à ce moment que je lui ai raconté ma discussion avec Gérald Martineau. J’ai toutefois oublié de lui dire que c’est dans un journal que j’avais lu sur le rôle unique et difficile que s’attribuait M. Chaloult pour l’adoption du drapeau et que j’en avais discuté tout de suite après avec M. Martineau. Bastien a compris que j’avais parlé à ce dernier à la suite de la lecture des mémoires de Chaloult. Cela est impossible pour deux raisons. Martineau était décédé avant la publication desdites mémoires et, moi-même, je n’ai jamais lu les mémoires de Chaloult. Cela explique une erreur de fait dans la chronique de M. Bastien que relève M. Dumas. Ce point ne change toutefois rien à l’essentiel.
Au bout du compte, Dumas reproche à Bastien d’avoir rendu public mon témoignage. Ce serait « incongru » pour quelqu’un qui « se présente comme un historien », comme s’il était un charlatan. Pourtant, celui-ci n’a fait que m’aider à publiciser mon éclairage sur l’adoption du fleurdelisé. Dumas devrait se réjouir au lieu de se cabrer. Je dis la vérité, et s’il pense que je mens, qu’il le prouve.
Avant de laisser entendre que je suis un menteur, M. Dumas aurait pu facilement me joindre. Il est historien, écrivain et chargé de cours dans le réseau des Universités du Québec ; cela comporte des obligations comme celle de vérifier, deux fois plutôt qu’une, les faits qu’il s’apprête à publier. Désormais, si j’ai à citer M. Dumas, je le ferai avec beaucoup de réserves et quelques appréhensions.